Comme on l’a dit des poètes, on pourrait avancer que la Belgique est le pays qui présente la plus forte densité de maisons d’édition littéraires au mètre carré. Il en est quelques-unes qui ont aujourd’hui largement pignon sur rue, (entre autres les Éditions Luce Wilquin qui viennent de publier leur 500e ouvrage), mais bien d’autres aussi de dimensions plus modestes qui poursuivent vaillamment une mission dont la spécificité et les buts s’avèrent indispensables bien que, pour le plus grand nombre, elles apparaissent moins « sexy » (ce terme nigaud et passe-partout qui, dans un unique emballage, se pare aujourd’hui de toutes les séductions). C’est bien entendu le cas de la poésie, racine la plus profonde de la littérature et des arts en général, comme l’ont notamment bien intégré les éditions MaelstrÖm et la Maison de la Poésie d’Amay qui cumulent les anniversaires et les projets, ou encore les éditions Corridor issues d’un terreau fertile et riches elles aussi de nouvelles perspectives. Et ce n’est pas à la tâche la plus aisée que se consacrent les toutes jeunes éditions Diagonale en faisant le choix généreux de ne publier que des premiers romans. Un trait d’union s’impose entre ces hauts lieux de résistance et de créativité éclairés par l’actualité : la volonté de créer des passerelles et des liens profonds entre leurs activités propres, l’univers artistique pluriel et tous ses « relevants » depuis les créateurs jusqu’au public, ultime et principal propos de leur opiniâtreté.
Cinq cents titres à l’enseigne de Luce Wilquin
Les éditions Luce Wilquin qui ont pris leur vrai départ en 1992 viennent de franchir le cap des cinq cents ouvrages. Comme le dit leur créatrice : « une sacrée étape dans l’investissement d’une maison d’édition littéraire indépendante au service des textes et de leurs auteurs ». L’ouvrage qui marque cette étape – Dans le bleu de ses silences – ne passe pas inaperçu avec ses 886 pages et ses 935 grammes d’excellente littérature historico-romanesque, signés Marie Célentin, professeur de langues ancienne à Liège.
En auscultant les données du chemin parcouru, Luce Wilquin précise que 340 de ces 500 ouvrages sont le fait de 90 auteurs francophones, – belges et autres – « récidivistes » fidélisés par l’enseigne jusqu’à y signer 16 romans comme c’est le cas de Françoise Houdart, Prix triennal Charles Plisnier pour Les profonds chemins.
Un bilan qui présage bien de l’avenir
En fait de reconnaissances, l’écurie Wilquin est loin d’être en manque. Outre la présence de ses auteurs dans nombre de sélections finales de prix littéraires belges ou étrangers, on relève parmi les trophées les plus récents : le Prix Rossel et le Prix des cinq Continents de la Francophonie, entre autres, pour Si tu passes la rivière de Geneviève Damas, le Prix Soroptimist 2014 de la romancière francophone pour Isabelle Bary avec La vie selon Hope, attribué par les lectrices françaises. Parmi les autres titres de fierté de la maison, figurent les traductions en plusieurs langues étrangères (néerlandais, allemand, italien, roumain, etc.), une coédition au Québec, une adaptation télévisée, et bientôt la traduction américaine de Si tu passes la rivière, qui est aussi le premier titre passé au Livre de Poche. Un bilan qui résulte de l’acharnement, parfois au-delà même de ses forces, d’une battante et de son complice de toujours André Delcourt, rejoints aujourd’hui et pour la première fois par une attachée de presse, la Bordelaise Lucile Poulain.
Mais au-delà de cet inventaire plus que positif, Luce Wilquin évoque l’esprit d’interaction constructive qui anime son travail et la véritable portée du succès incarné par ce cliquet emblématique du demi-millier d’ouvrages publiés : « C’est surtout un réel bonheur dans la défense de la littérature de fiction et des relations chaleureuses avec les écrivains, les libraires, les bibliothécaires, les diffuseurs, les distributeurs et les collègues éditeurs, basées avant tout sur le respect mutuel ».
Diagonale : un tremplin pour jeunes auteurs
C’est dans ce même esprit d’échange et de collaboration entre les partenaires de l’univers du livre que les éditions Diagonale ont tout récemment vu le jour à cette enseigne qui exprime bien l’oblique volontariste qu’elles fomentent à travers tout le système éditorial, depuis l’auteur jusqu’au public de lecteurs – ce qu’exprime aussi avec finesse la maquette élégante et sobre, offerte amicalement par la Maison de la Poésie d’Amay, éditrice de la revue L’Arbre à Paroles et qui imprime aussi la production de Diagonale. Le propos de base, est donc de se consacrer uniquement à la recherche de jeunes talents littéraires de qualité et à la publication, toujours à frais d’éditeur, de leur premier roman, tous genres confondus (du polar aux livres de jeunesse et autres fictions de tout caractère, à l’exception des recueils de nouvelles ou encore des textes racistes ou pornographiques). Un programme des plus constructifs quand on sait la difficulté que rencontrent les délinquants primaires du vice littéraire, non seulement à se faire éditer mais ne fût-ce qu’à se rendre visibles sans le coup de pouce d’un parrainage dans les grandes ou moins grandes maisons où affluent chaque jour nombre de manuscrits.
Passion et complémentarité
On doit cette initiative namuroise à deux jeunes femmes qui, tout en affirmant leur complémentarité, partagent le don précieux d’être passionnées tout en gardant les pieds sur terre. Pascaline David est philosophe de formation, scénariste et déjà initiée au métier du livre au sein des Editions namuroises (dont Diagonale a relayé l’édition des Conquêtes véritables, de Nicolas Marchal, Prix RTBF du premier roman). Elle se dit particulièrement soucieuse d’ouverture et de dialogue avec notre époque, sensible au sens et à la construction des œuvres ainsi qu’à la musique de la langue. Cet amour de la langue et de la littérature, c’est aussi ce qui anime Ann-Gaëlle Dumont, romaniste, professeur de français pendant plusieurs années en humanités. Au-delà de la musique des textes, elle s’intéresse activement à la technique romanesque si importante elle aussi pour l’affirmation d’un talent d’écrivain. Toutes deux assurent la lecture de tous les manuscrits et soumettent ceux qui leur paraissent sortir du lot à l’avis d’un entourage de conseillers littéraires. Par ailleurs, tous les manuscrits refusés font l’objet d’une fiche de lecture permettant à l’auteur de progresser dans son cheminement. Elles effectuent ainsi un travail de base dont les grandes maisons n’ont souvent pas le temps ou le souci de s’acquitter. En revanche, une publication Diagonale peut inviter celles-ci à s’intéresser à un talent qui leur paraît prometteur.
Une avalanche de manuscrits
Cela dit, l’entreprise appuyée et conseillée par de vieux routiers du sérail a demandé une longue préparation et n’a rien d’une sinécure. L’appel initial à manuscrits a suscité en quelques semaines l’envoi de cent cinquante manuscrits venus de tous pays francophones. Beaucoup étaient loin d’être aboutis, mais quelques-uns méritaient certes d’être pris en considération, moyennant quelques menus aménagements. Ce fut le cas pour Damien Desamory dont La vie en ville inaugure avec brio la production propre à Diagonale qui entend publier deux à cinq manuscrits par an. On annonce déjà la parution suivante, un roman frotté d’Afghanistan, écrit par le Belge John Henry et plaisamment intitulé Quand les ânes de la colline sont devenus barbus. Soulignons aussi que l’appel à manuscrits sera ouvert tous les ans et cela durant deux mois pour permettre un traitement plus rationnel et plus efficace des textes proposés.
Une chaîne de complicités
La diffusion des livres est assurée par les deux fondatrices qui ont à cœur de créer et d’entretenir cette « diagonale » reliant leur action aux libraires à travers les contacts avec les nouveaux auteurs qu’elles publient. Une chaîne de complicités en somme. Sans oublier les partenaires qui apportent leur soutien à l’action de promotion littéraire de l’ASBL (notamment, en plus du Service des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Maison de la poésie d’Amay, la Fondation Roi Baudouin, la Loterie Nationale ou encore La Libre Belgique et d’autres initiatives plus locales) Et, bien entendu, le lecteur est lui aussi convié à entrer dans la danse grâce, entre autres liens, à une affiliation au Book Club de Diagonale qui permet à ses membres de recevoir les publications à domicile dès leur parution, de disposer d’invitations aux différents événements marquants, de bénéficier d’entrées gratuites à certaines manifestations (comme le rendez-vous annuel de la Foire du Livre) ou de réductions sur des publications maison.
C’est aussi dans cet esprit fédérateur que s’affirme le propos des éditrices : « Nous plaçons des formulaires de dépôt de manuscrit dans nos livres afin de favoriser les liens dans le monde de l’édition, de mettre en lumière les primo-romanciers (en les faisant plus largement connaître) et de présenter notre maison d’édition sous ses divers aspects (intention éditoriale, maquette graphique). C’est également conçu comme un soutien financier aux libraires qui vendent des premiers romans ».
Corridor : le livre aussi comme spectacle
Anciennement appelée Grand-Guignol, Le Corridor est une maison de création et de production créée à Liège, voici vingt ans, par Dominique Roodthooft, comédienne, metteure en scène et directrice artistique de cette structure ouverte tant à la création dans tous ses états qu’aux artistes eux-mêmes Aujourd’hui, au programme de nombreux projets originaux et novateurs mis en œuvre dans le domaine du spectacle, Corridor a joint une activité éditoriale inspirée par l’imagination artistique « transversale » de Patrick Corillon, le compagnon de la fondatrice. Et cela en particulier sous les espèces du « livre à construire ». Artiste dont de très nombreuses œuvres sont exposées dans le monde entier, Patrick Corillon s’explique avec feu sur l’esprit Corridor, sur sa vision de l’art, sur l’origine et le caractère particulier de ces objets-livres d’une créativité et d’une force poétique exceptionnelles.
Corridor, un lieu vers le lieu
Quand il a cherché un nom pour ses nouvelles activités, le couple a été inspiré par l’énorme corridor de la maison investie pour élargir sa possibilité d’action, rue Vivegnis, dans le quartier nord de Liège. Une idée qui leur a paru aussi en concordance avec celles des artistes conceptuels pour qui aller vers un endroit est tout aussi important que le lieu que l’on gagne : « Le corridor est aussi un endroit ouvert sur différentes portes. Le principe même du corridor suggère un lieu de production, mais qui ne met pas sur le marché des produits bien typés (une pièce de théâtre, un livre, etc.) que l’on écoule avant de passer à autre chose. Dans l’élaboration de nos projets, nous ouvrons plusieurs fois ce lieu et les présentons aux différents publics pour discuter et avancer. Ce qui fait qu’il s’agit à chaque fois d’un parcours nourri par des rencontres avec des personnes de tous bords qu’ils soient artistes, philosophes, psychanalystes, architectes, etc. Il en est de même avec les livres ».
Ce qu’on appelle des « petites histoires »
Patrick Corillon dit avoir toujours été un lecteur avant tout. Et il ne se définit pas comme un auteur, mais comme un « traversé ». Très attaché à la démarche des conceptuels, c’est presqu’en écrivain qu’il s’est investi dans le monde des arts plastiques. Il se définit aussi comme un homme qui « recule masqué » ou qui « avance à reculons » : « Je suis tourné vers le passé. Il n’y aucune nostalgie en cela, mais l’enracinement est ce qui me permet de regarder le monde. Et je porte différents masques, selon mon rapport à l’écriture, aux arts plastiques, au théâtre, etc. et le masque est aussi fondamental que le fond. Ce qui m’intéresse aussi c’est de brouiller les cartes vis-à-vis des idées préconçues. Vis-à-vis des postures attribuées à l’artiste à travers le temps et les genres. Et en fait à travers toutes les formes d’art, c’est au lecteur que je m’adresse mais sans aucune notion d’autorité, comme si cela émanait de la communauté, de quiconque ou des lieux mêmes où je m’exprime, sans qu’apparaisse la notion d’auteur même si elle existe. Dans tous mes projets je mets toutes mes convictions, tout mon rapport au monde, ce que, dans les arts plastiques, on appelle mes petites histoires ».
Cela ne le dérange pas, les « petites histoires ». Elles sont pour lui de grandes histoires très opérantes : « Devant elles, on baisse la garde et ça fonctionne. Ce qui fait que j’ai aussi un lien très particulier avec la littérature pour enfants parce qu’il y a une forme apparemment inoffensive qui a, par exemple, été exploitée par les écrivains de l’Est pour faire passer leurs idées avec une subversion très forte tout en échappant à la censure ».
Le livre à construire : une invitation au voyage
« Pour moi, l’objet livre est une chose qui a toujours beaucoup compté. Ici, c’est vraiment l’idée de passer de deux à trois dimensions, tout en faisant un vrai livre où je donne du sens aux pages avec les lignes. Mais je vois aussi ces livres à construire comme des ouvertures sur le monde, des boîtes aux trésors et de l’art vivant. Je les conçois à la façon d’un metteur en scène. Il y a toute une dramaturgie : on ouvre, on referme, on lit, on découvre, et cette lecture peut agir autant sur le conscient que sur l’inconscient. Ce que j’essaye en fait, c’est d’avoir des lecteurs-acteurs. Et de faire des livres qui sont aussi acteurs de notre vie ». Les titres eux-mêmes sont au diapason de ces véritables poèmes en mouvement : Albertine et le vieux marin, l’histoire d’une baleine enfin délivrée par le vieux marin du harpon qu’il lui avait envoyé autrefois et qui remorquait aussi « un livre d’explication du monde ». Ou Vingt fleurs à venir, des histoires où tout est imaginaire et où les mots font naître les fleurs à partir d’un parterre de lettres et à travers un jeu de couleurs. Ou encore Six paroles prêtes à brûler qui s’inspire de la coutume ancienne de rouler en bûches les textes des dernières paroles des condamnés et de les jeter au feu pour faire reculer sa propre mort.
Et au fil de la construction et de la lecture, on roule les bûches tout en abordant le rapport à la mort, on choisit et fait pousser les fleurs à volonté ou l’on découvre de boîte en boîte une explication du monde tout en délivrant la baleine de son harpon.
Le choix d’être dans la marge
Il est vrai aussi qu’avant d’imaginer ces constructions, Patrick Corillon avait déjà un long passé de « faiseur de livres » d’une superbe inventivité graphique et littéraire, surtout aux éditions Memo de Nantes, mais déjà au Corridor (avec notamment La Maison Vague, une « visite guidée » au musée des chansons de marin de Glasgow). Cela dit, il est trop tôt pour évaluer exactement le succès remporté par les livres à construire, mais Patrick Corillon est serein : « Cela se distribue très bien dans les librairies. À part une seule, la vingtaine de librairies visitées à Liège et Bruxelles s’est montrée intéressée et en a pris des exemplaires. Mais je sais aussi que pour ce genre de livres, la diffusion, c’est minimum dix ans. Au contraire de ce qui se fait maintenant, c’est un temps qui me convient. Du reste, notre position à ma femme et moi a toujours été d’être des « marginaux » au sens premier du terme. Être dans la marge ne nous a jamais empêchés de réaliser des projets qui ne sont pas politiquement et massivement événementiels mais qui fonctionnent à leur échelle de proximité, même si par ces temps de crise, la fragilité semble tout de même plus forte que précédemment ».
À Amay, la poésie est chez elle depuis 50 ans
Au cœur de la cité mosane, la Maison de la Poésie représente aujourd’hui cinquante ans de résistance poétique. C’est une structure complexe qui rassemble une section animation (comme CEC Plume et Pinceau), une imprimerie, une section édition et la partie administrative. Pour en parler, la voix et le moteur actuels de cette structure s’appellent David Giannoni (le pluriel n’est pas de trop). Sorte de colosse débonnaire au regard d’eau claire, cet homme multiple cumule une belgitude bien assumée avec des racines méridionales et un vécu qui passe par la France et l’Italie. Evidemment féru de poésie, mais aussi thérapeute, naguère éducateur dans le secteur des sans-abri, il est par ailleurs animateur des éditions MaelstrÖm : « Actuellement, nous sommes confrontés à des problèmes de montage financier, parce que cette Maison d’Amay coûte cher. Même si dans cette structure, unique en son genre en Communauté française par le grand nombre d’employés, une dizaine de postes sont subventionnés par la Région Wallonne avec des contrats d’aide à l’emploi. Nous bénéficions également d’autres subsides de la Communauté et de la province de Liège. Il y a aussi les travaux de l’imprimerie qui n’est pas une entreprise commerciale, mais qui se consacre aux petits éditeurs de la Communauté française comme MaelstrÖm, Diagonale, les Éditions namuroises, Dessert de lune, Onlit, etc. Pas seulement pour l’argent qu’on ne reçoit pas autrement, mais surtout parce que cela crée tout un pack de relations et de conseils qui font bénéficier de notre expérience éditoriale et de certains services, par exemple des maquettes ou des épreuves, pratiquement gratuits pour des maisons qui commencent ».
Un moment charnière
Le projet de la Maison de la Poésie est né en 1964 de la rencontre des poètes Francis Chenot et Francis Tessa, avec, ensuite, Alain Gerbaut ou Rio di Maria. Un collectif qui débouchera sur la création du groupe Vérités et de la revue Identités devenus plus tard l’Arbre à Paroles. L’association, après un détour de sept ans à Flémalle, reviendra à Amay en 1986 et puis rachètera, en plein centre, la maison entièrement rénovée qui abrite aujourd’hui l’ensemble des installations. Une maison largement ouverte sur le monde artistique et littéraire, qui accueille dans les meilleures conditions des écrivains et des artistes en résidence, expose et publie leurs œuvres, multiplie les animations, publie les petites éditions littéraires, mais aussi sa propre production à l’enseigne de L’Arbre à Paroles, bien connue des amis de la poésie. David Giannoni s’y est investi depuis 2007. « Francis Tessa entendait prendre sa retraite et l’a signifié au Ministère de la Culture qui, au courant de mes activités, m’a demandé de reprendre le projet qui s’endormait un peu. J’ai commencé par trois mois de bénévolat tout en gardant un mi-temps chez les sans abri où j’organisais les espaces de parole. Comme il y avait beaucoup de réticences des anciens face aux changements, nous nous sommes donné de deux à trois ans pour opérer les changements, pour dynamiser et pérenniser les éditions. Nouvelle avancée en 2011, lorsque nous avons pu engager Antoine Wauters, l’auteur de Nos Mères, comme assistant éditorial et relancer vraiment les éditions. Avec notamment la collection « If » attentive surtout à la qualité du travail d’écriture. Aujourd’hui, nous sommes à un moment charnière. La structure exige qu’on l’amplifie et l’on n’est pas actuellement dans un contexte financier qui soit favorable aux subventions. Mais nous trouverons bien d’autres moyens pour y arriver…».
Éditer de la poésie, une folie…
Après avoir été longtemps distribuées par d’autres diffuseurs, désormais les éditions assurent elles mêmes leur diffusion et leur distribution. Ce qui a eu pour effet, grâce à une plus grande flexibilité, de provoquer un meilleur accueil des libraires, des retours de ceux qui avaient pris leurs distances et d’ouvrir davantage les rayons aux productions de la maison. Cela dit, « l’édition de poésie, c’est une folie. Comme pour toute folie, on arrête ou on continue. Mais la poésie, c’est pour moi, non pas une seconde, mais une première nature. Je ne peux pas imaginer que tout ce combat ne serve à rien. Donc, on est ouverts, on observe, on écoute, on multiplie les événements qui nous permettent des rencontres avec des passionnés ou des personnes qui nous découvrent. Mais il faut bien savoir que l’édition de poésie ne pourra jamais donner en quantité de vente ce qu’on aimerait qu’elle donne. Par contre, je pense que la poésie est de plus en plus une source de nourriture pour tout un public de lecteurs passionnés, mais aussi d’auteurs, artistes, acteurs, hommes de théâtre ou de cinéma, universitaires … ».
C’est ce que David Giannoni découvre aussi avec le succès que la vente de poésie se taille notamment à l’enseigne de la librairie MaelstrÖm de Bruxelles, émanation de la maison d’édition du même nom, deuxième casquette de ce zélateur infatigable de la poésie.
Vingt-cinq bougies pour MaelstrÖm
C’est en 1987, quand Giannoni va quitter l’Italie pour la Belgique, que pointe son projet de créer avec un ami une revue pour jeunes auteurs et artistes, en vue déjà de faire se rencontrer les différents arts de façon très éclectique. Restait à lui trouver ce titre de prime abord intrigant. Sur les conseils d’un rédacteur en chef italien féru de littérature et d’Edgar Poe, ce père de plusieurs genres littéraires, il découvre dans les Histoires extraordinaires la nouvelle intitulée, « Une descente dans le MaelstrÖm », où trois personnes affrontent ce déchainement naturel en réagissant différemment. Récit dont la leçon sous-jacente pourrait être que s’opposer avec ses certitudes au tourbillon de la vie peut s’avérer fatal, alors qu’accompagner le mouvement avec légèreté donne plus de chances de survivre à la vague jusqu’à l’accalmie. De quoi séduire quelqu’un qui s’apprête à entrer plus concrètement dans le tourbillon de la vie artistique et de l’édition littéraires.
On ne peut oublier de souligner l’hommage rendu au passage par Giannoni à son grand ami Gaston Compère qu’il qualifie justement de « grande âme » et qui lui fut d’une aide considérable lors de son arrivée en Belgique, en encourageant son projet de revue et en lui ouvrant un chemin parmi les poètes et écrivains susceptibles de collaborer à l’entreprise, comme Georges Thinès, Francis Dannemark, Jacques Crickillon et quelques autres. « En 1990 paraît donc le numéro zéro de la revue MaelstrÖm suivi d’autres pour devenir une collection de livres chez le petit éditeur Edifi, de Louvain-la-Neuve. Et puis la collection s’est encore développée et nous avons eu en 2003 notre propre maison d’édition indépendante de toute structure. Et cela fait donc 25 ans que nous poursuivons ce chemin éditorial ».
Un véritable esprit de famille
En 2007, MaelstrÖm crée le « Fiestival » de poésie qui se déroule chaque année à l’espace Senghor, à Bruxelles et en 2010 s’ouvre, à proximité de ce Senghor, la première librairie qui accueille tout de suite d’autres éditeurs amis et abrite aussi un mur-galerie pour exposer les artistes. « Cette librairie qui subsiste de façon miraculeuse est aussi notre QG. C’est notre lieu de rencontre, c’est là que nous préparons toutes nos actions avec un véritable esprit de famille où tous les auteurs sont partie prenante et peuvent même devenir des collaborateurs actifs ou tout simplement tenir la boutique. Nous faisons des tournées à l’étranger où nous sommes souvent invités. Nous avons notamment publié le « petit livre rouge » de Ferlinghetti : Poésie, art de l’insurrection dont nous avons fait un spectacle qui eut pas mal de retentissement. Il y a donc eu petit à petit une véritable reconnaissance de notre action et des connexions parce que la poésie est aussi une recherche d’unité ».
Au service de la poésie
En écoutant David Giannoni, on relève une évidente confirmation de ce qui pointe dans les conceptions de toutes ces « petites » maisons d’éditions littéraires de la Communauté: cette constante volonté d’une liaison et d’une interaction de toutes les composantes de l’univers littéraire et artistique. Au nom de la poésie, mère et inspiratrice de toutes les formes d’art, et avec le sentiment d’être avant tout à son service. « J’ai toujours éprouvé ce besoin de servir d’abord la poésie et les poètes (quitte à les recadrer amicalement quand ils sont trop égocentrés). C’est cela qui m’a toujours animé et que j’essaye aussi de transmettre, tant à MaelstrÖm qu’à la Maison de la Poésie d’Amay, à mes collaborateurs, que je respecte énormément. Sans oublier, évidemment, le service au public parce que le but de toutes ces actions c’est bien de les amener à des rencontres avec des auteurs et avec ceux qui les servent ».
Ghislain Cotton
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 186 (2015)