Dans l’intimité de la bibliothèque de Corinne Hoex

corinne hoex

Corinne Hoex

Élue en 2017 à l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, Corinne Hoex est l’auteure d’une œuvre importante tant dans le domaine du roman que de la poésie. En nous ouvrant les portes de son univers livresque, elle nous invite à plonger « au cœur des textes », des contes de l’enfance à la chanson française en passant par les poètes qui constituent sa bibliothèque intime. De la voix aux mots, des mots aux livres !

Quelles sont vos premières lectures marquantes ? Ces lectures sont-elles associées pour vous à des souvenirs, des impressions liées à la matérialité du livre : une illustration de couverture, un grain de papier, un format, une odeur, une collection ?

Les textes qui m’ont marquée ont toujours été associés à la musicalité, à la sonorité, au rythme de la phrase, bien plus qu’à la matérialité du livre. J’ai découvert Tristan Corbière au lycée grâce au cours de déclamation (une dizaine d’années plus tard, d’ailleurs, j’ai mis en chanson plusieurs poèmes des Amours jaunes). Je me suis passionnée pour La Fontaine suite à un stage donné par Charles Kleinberg. J’ai abordé Plume de Michaux à l’Académie des arts de la parole de Molenbeek où je suivais le cours de Pascale Mathieu. C’est là aussi que j’ai travaillé Marie-Madeleine ou le salut, de Yourcenar. Ces textes ont d’emblée pris corps et voix en moi. Et il en a été ainsi pour tous les auteurs que j’ai abordés par la suite, de Baudelaire à Sarraute, de Cendrars à Flaubert, d’Apollinaire à Beckett, de Lilar à Calvino.

Depuis l’adolescence, la chanson française me captive, Georges Brassens particulièrement, et Barbara. Je les ai écoutés, réécoutés et chantés avec une attention de lectrice. J’avais la chance d’avoir des parents qui m’emmenaient le dimanche à L’Ancienne Belgique. Grâce à eux, j’ai vu sur scène Brel, Bécaud, Aznavour, Brassens, Montand, Ferré, et même un soir, dans un cabaret, Boby Lapointe.

Y avait-il chez vous, dans l’enfance, une bibliothèque familiale dans laquelle vous pouviez puiser ?

Non, dans l’enfance, pas de bibliothèque. Quelques livres auxquels ma mère tenait beaucoup, enfermés dans l’armoire du bureau. Il n’était pas question d’y toucher. Un peu comme chez la petite fille de mon premier roman, Le Grand Menu.

Mes parents lisaient Le Soir et, chaque semaine, le Pourquoi pas ? J’y repérais les Dialogues de la semaine, de Virgile. J’accompagnais mon père chez la marchande de journaux. Il m’y achetait le magazine Belle du ballet et, de temps à autre, un Bob et Bobette, ou un Bessy (il refusait que je lise Tintin). J’avais l’autorisation de lire au lit avant de m’endormir. La lecture avait sans doute, aux yeux de mes parents, une vocation lénifiante, à visée soporifique. Je possédais à cet effet quelques volumes de la Bibliothèque Rouge et Or. Pour la même fonction, mes parents avaient leurs propres livres. Mon père privilégiait les récits d’exploration, et ma mère, les policiers.

Chez mes grands-mères (ma grand-mère et mon arrière-grand-mère maternelles), les livres étaient plus présents. Elles m’en offraient pour les anniversaires et les fêtes. Comme mes parents travaillaient, j’étais souvent chez elles. Mon arrière-grand-mère était une conteuse magnifique, intarissable. Ainsi, auprès d’elle, dès la petite enfance, c’est à travers la voix que les mots m’ont structurée. J’évoque cette arrière-grand-mère dans Décidément je t’assassine.

Êtes-vous d’une certaine manière une « fouineuse », « chineuse » de bibliothèque, librairie et/ou bouquinerie ? Une « amoureuse » des livres rares, des éditions originales à l’instar d’Élisabeth, la libraire de votre roman Le ravissement des femmes publié en 2012 chez Grasset ?

J’ai tenu autrefois une échoppe au Marché du Sablon, que j’ai partagée, un temps, avec un bouquiniste, mais moi-même je ne vendais pas de livres (c’est très lourd à transporter chaque week-end, les caisses de livres).

Durant quelques années, j’ai recherché les belles éditions de Colette, de Pierre Louÿs, et toutes sortes de curiosa. Il me reste certaines jolies choses qui se souviennent de cette époque, avec de savoureuses illustrations de Jacques Touchet. Un Radiguet aussi, tout à fait charmant, Vers libres, paru au Panier fleuri, avec des aquarelles de Rojan. Mais je n’ai pas une vocation de collectionneuse. J’aime l’inattendu. Les moments de grâce. L’idée de la collection gâte ces instants-là. J’apprécie bien sûr le beau papier, la belle typographie, la belle reliure, mais, pour le saisissement du texte, ils importent assez peu.

J’ai dans ma bibliothèque quelques ouvrages sans grande valeur marchande, mais que je conserve comme des talismans, par exemple, de Colette, Le pur et l’impur, avec le frontispice de Cocteau, et Mitsou, avec les bois de Hermann-Paul. Je tiens aussi beaucoup au Chant de l’amour et de la mort du Cornette Christoph Rilke, avec le frontispice de Jacques Ernotte. Il y a aussi Jocelyn, de Lamartine, sur la coiffe inférieure duquel mon arrière-grand-père, Léon Potaux, qui était relieur et doreur, a gravé, en 1884, le nom de sa fiancée, Aline Vandersmissen, mon arrière grand-mère. Elle m’a offert ce livre si précieux pour mes dix-huit ans, en me le dédicaçant. Elle avait alors nonante-huit ans. Je garde d’elle quelques autres ouvrages encore, qui ont chacun leur histoire et leur charge d’émotion.

De même, dans vos recueils de poésie, vous collaborez régulièrement avec des artistes, plasticiens. Avez-vous un côté bibliophile ? Êtes-vous attentive aux tirages de tête, aux reliures, aux papiers, à la fois pour vos propres ouvrages mais aussi pour ceux des autres ?

De manière générale, et pas uniquement pour mon travail de poésie, je tiens à ce que tout dans mes livres invite le lecteur à pénétrer au cœur du texte. La qualité du papier, la mise en page, l’image de couverture y contribuent et j’y suis très attentive.

Par ailleurs, pour plusieurs de mes livres de poésie, j’ai eu le bonheur de collaborer avec des plasticiens et ce dialogue artistique a toujours conféré au livre une dimension supplémentaire.

hoex jadis vivait ici

L’attrait que l’on retrouve par exemple chez vous pour l’imaginaire du  Moyen Âge, les mots rares, oubliés qui surgissent notamment dans votre recueil Jadis vivait ici publié aux éditions L’Âge d’homme en 2015, cette dilection est-elle liée à certaines lectures, certains auteurs qui vous ont marquée ?

Jadis vivait ici est, en réalité, le seul de mes livres qui se réfère au Moyen Âge. Peut-être pourrait-il avoir un lien avec mes travaux universitaires sur les saints guérisseurs, les arbres à clous, les arbres à loques, tous ces rituels très médiévaux que pratique encore l’Église. Quant à mon attrait pour les mots rares, il  se retrouve dans nombre de mes livres, comme Décollations, par exemple. J’ai été à bonne école avec Brassens, et avec Baudelaire.

Votre bibliothèque personnelle constitue-t-elle d’une certaine façon un outil de référence pour l’écriture ? Feriez-vous la distinction entre une bibliothèque de travail et une bibliothèque d’agrément au sein de vos collections personnelles ? Peut-on y relever un classement ? Comment sont rangés les ouvrages, par langue, par auteur, par genre, par affinité ?

Mes livres sont rangés par ordre alphabétique. Je n’y fais pas de distinction entre travail et agrément. Une bibliothèque est consacrée à la littérature, une autre aux arts plastiques.

Avez-vous besoin d’être entourée de livres pour écrire ? Ou bien pouvez-vous écrire dans un train, un café ?

Je n’ai pas du tout besoin d’être entourée de livres pour écrire, mais uniquement de silence. Quand j’écris, je suis à l’écoute du texte qui affleure et cherche à se dire. Chaque bribe de phrase, chaque mot, prend forme à voix haute et est retravaillé à voix haute. J’ai donc besoin autour de moi de cet espace de silence.

Prêtez-vous vos livres facilement ? Mais surtout les récupérez-vous en général aussi facilement ?

Je préfère offrir les livres que les prêter. Cela m’évite d’attendre éternellement qu’on me les rende. Je les achète pour en faire cadeau, mais je ne me défais pas des miens. Depuis quelque temps, j’opère un grand tri dans ma bibliothèque. Je m’efforce de ne garder que peu de chose, les livres que j’aimerais lire ou relire. Ce peu de chose occupe tout de même encore douze étagères bien pleines qui montent jusqu’au plafond.

Rony Demaeseneer

Bibliographie des derniers livres parus :

Poésie
Prose
  • Le Grand Menu, L’Olivier, 2001; rééd. Les Impressions Nouvelles, 2010; rééd.  Espace Nord, 2017 (postface de Nathalie Gillain).
  • Décollations, L’Âge d’Homme, 2014.
  • Valets de nuit, Les Impressions Nouvelles, 2015.
  • Pas grave, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2015.

Article paru dans Le Carnet et les Instants n°203 (2019)