Portes et livres ouverts : librairie et éditions CFC, même combat pour le livre

Rony Demaeseneer Marc Quaghebeur Marie-France Renard

Marc Quaghebeur entouré par Rony Demaeseneer et Marie-France Renard chez CFC ©Michel Torrekens

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir, l’œuvre d’auteurs belges. Des lieux essentiels puisqu’ils permettent de mettre un visage sur un nom et d’entendre l’écrivain s’exprimer en direct sur son travail. Pour ce numéro, nous avons assisté à une rencontre organisée par la librairie bruxelloise CFC, place des Martyrs, autour des ouvrages récents de Marc Quaghebeur. Ouvrages consacrés, précisément, à notre histoire littéraire.

La librairie CFC est une librairie hors normes. Une institution dans le paysage culturel bruxellois. Pour y parvenir, on traverse la place des Martyrs dont le calme étrange contraste avec le brouhaha touristique et l’exubérance architecturale de la Grand Place, ainsi qu’avec la folie consumériste de la Rue Neuve sa voisine. Le soir, les rares passants la traversent telles des ombres. Le week-end, il y règne une paix qui rappelle que cette place a été construite sur un cimetière patriotique, puisque y sont inhumés les restes de 446 combattants de l’Indépendance de la Belgique en 1830. Quelques arbres, la crypte centrale surmontée d’un monument aux sculptures angéliques et les façades néoclassiques qui forment comme le pourtour d’un cloître urbain (qui n’a de monastique que le silence qui y règne parfois) lui donnent toutes les apparences d’un décor théâtral, comme ceux du Théâtre des Martyrs qui constitue un autre lieu culturel francophone sur le site. Car telle est bien l’une des caractéristiques de la Maison CFC, comme nous l’explique Muriel Verhaegen, sa responsable, en nous en résumant l’historique.

Une librairie née d’une volonté politique

Muriel Verhaegen est engagée en 1992 par la Commission Communautaire Française (COCOF) pour gérer sa librairie, qui s’appelait à l’époque Quartiers Latins (et que beaucoup appellent encore ainsi). Elle tire son nom d’origine de la volonté de politiques bruxellois de créer, au sein de la COCOF, un espace de la Francophonie où le lecteur pourrait dénicher des ouvrages africains, québécois, belges, etc. Avec une spécificité qui a forgé son identité : un cahier des charges éditoriales axés sur Bruxelles et son patrimoine architectural, artistique, historique… Ouverte au premier étage de l’administration bruxelloise avenue Louise, la librairie Quartiers Latins migre ensuite vers le boulevard de Waterloo pour enfin établir, place des Martyrs, ses… quartiers. « J’ai pu enrichir le fonds de la librairie et la penser, se souvient Muriel. Mon objectif était de proposer une librairie de littérature belge de référence. » Cette dimension saute aux yeux dès que le visiteur promène son regard sur les rayonnages. Il y trouve un beau panorama des sorties récentes d’auteurs et de maisons d’édition de Bruxelles et au-delà. De plus, l’accent est mis sur des structures éditoriales méconnues ou plus difficiles à trouver. L’amateur pourra ainsi se familiariser avec les propositions souvent originales des éditions La Lettre volée, Esperluète, L’Arbre de Diane, Yellow Now, Tétras Lyre, Éléments de langage, 180° éditions, spécialisées sur Bruxelles, les textes des Midis de la Poésie, les publications de l’Académie Royale de Langue et de Littérature de Belgique, sans oublier la collection patrimoniale Espace Nord, bien précieuse pour les enseignant.e.s. Enfin, un coin alimenté par la librairie-bouquinerie Abélard permet à l’amateur de mettre la main sur des ouvrages devenus introuvables.

Parallèlement à la gestion du commerce, la libraire est chargée, avec ses collègues, d’animer l’espace via des activités culturelles et des expositions. Un espace ouvert qui s’y prête magnifiquement. Conçu par l’architecte Patrick Mayot-Coiffard, il combine des plafonds et colonnes en béton brut qui ressortent sur des murs blancs. Des ouvertures nombreuses soulignent la luminosité des lieux et de belles perspectives horizontales. Pour accueillir les expositions de plasticiens contemporains et photographes, des cimaises épurées et délicates sont agrémentées d’une agréable luminosité naturelle dispensée par de grandes fenêtres sur deux façades. S’ajoutent à ce déjà copieux programme des ateliers et des visites guidées…

Autre caractéristique de CFC : son volet éditorial. Sa politique d’édition, de diffusion et de promotion valorise le patrimoine, la création ainsi que la vie artistique bruxelloise. Francophone toujours. Les collections de CFC-Éditions ont pour spécialités :

  1. L’histoire et le patrimoine culturel bruxellois, passé et présent, des propos contemporains ainsi que des approches et des sujets inédits.
  2. La langue française, aussi en dialogue avec d’autres langues, dans un esprit cosmopolite, en écho à la diversité d’aujourd’hui.
  3. Les scènes créatives émergentes, parmi lesquelles des projets éditoriaux personnalisés : originaux signés, cahiers, carnets, cartes postales, affiches, tote-bags d’artistes…

Et c’est en 2017 que le lieu a été rebaptisé Maison CFC (éditions-librairie).

Chemins de lecture

C’est dans ce cadre à l’esthétique soignée et au milieu de l’expo du moment, que se tiennent les animations. Gaston Compère, Max Elskamp, Émile Verhaeren, nos Fous littéraires ont eu droit à leur exposition, de même que l’œuvre de Pierre Mertens vue par des étudiants d’écoles artistiques, les photos de Guy Vaes, les logogrammes de Christian Dotremont, le roman En Vie d’Eugène Savitzkaya. Parmi les animations, des installations, des lectures dont le comédien Pietro Pizzuti est un habitué, et des rencontres dont beaucoup sont consacrées à la littérature belge. Ce jour-là, Marie-France Renard, professeur émérite de l’Université Saint-Louis, et Rony Demaeseneer, lui-même auteur aux éditions Éléments de langage de L’habitude presque rassurante des départs, soumettaient Marc Quaghebeur à leurs questions autour des deux tomes de son Histoire, forme et sens en littérature. La Belgique francophone. L’Engendrement (1815-1914)et L’Ébranlement (1914-1944), aux éditions Peter Lang. Nourri d’une incroyable érudition et porté par une verve enthousiaste, Marc Quaghebeur parcourt plus d’un siècle de l’histoire d’un pays singulier en Europe. De cette histoire, émerge une littérature consciente d’elle-même et porteuse de chefs d’œuvre souvent méconnus. Les mythes, les interrogations identitaires et les formes originales nés de cette hstoire sont présentés dans une langue qui doit beaucoup au fait que l’auteur-orateur est lui-même poète et romancier. Une langue et une littérature qui doivent aussi beaucoup à la peinture et ce n’est pas un hasard si la couverture des tomes I et II est illustrée par une peinture, respectivement d’Ensor et Magritte, qui furent également des écrivains, même si cela se sait moins. Cette Histoire, forme et sens en littérature a été primée par les deux Académies, belge et française, excusez du peu. Trois tomes viendront compléter prochainement cette immersion passionnante dans les récits nés d’un pays improbable.

Ces rencontres ont été longtemps annoncées et relayées dans une petite revue de belle facture, au graphisme soigné, qui a vécu plus de vingt ans : Chemins de lecture. Car il s’agit bien de cela, aux yeux de Muriel Verhaegen, que ce soit à travers la librairie ou les rencontres : proposer des chemins de lecture. « Ma programmation n’a pas d’optique commerciale et ne suit pas nécessairement les sorties, explique Muriel. J’adresse les rencontres à un public qui a pu déjà lire l’auteur qui, de son côté, s’est posé après la période de promotion et a pu se nourrir des échanges précédents. Comme libraire, je défends la notion de choix. Un libraire se raconte à travers ses choix. Les rencontres, c’est toute une pensée qui se déploie, avec des liens à créer et une volonté de transmission. »

« La femme-livre »

Mais d’où vient la « Vestale » des lieux, ainsi que la qualifia un jour Jacques De Decker ? De parents romanistes, Muriel Verhaegen vit depuis son enfance une passion pour le livre, et singulièrement le livre belge. Après des études philosophiques et théâtrales, elle s’oriente résolument vers un diplôme en librairie et édition. Elle s’imprègne pleinement de littérature belge lors d’un stage à la librairie que le service de la Promotion des Lettres avait ouverte au Botanique. Le libraire attitré, Jean Meyer, l’initie à ce monde, initiation qui se poursuivra dans des enseignes qui ont contribué à la vie de nos Lettres, comme Les Éperonniers, Tropismes ou les éditions Complexe. En 1989, elle se fait engager dans une petite librairie-bouquinerie, atypique, marginale, au numéro 6 de la rue des Éperonniers, près de la Grand-Place : La Proue. Elle a été fondée par un personnage tellement particulier qu’un documentaire lui a été consacré en 1987 : L’employé du temps ou portrait de Henri Mercier, libraire, de Michel Jean Bélanger et Yves Warson. Malheureusement, le maître des lieux a décidé de vendre, Muriel ne le croisera qu’épisodiquement. Face au déclin du commerce, Muriel décide de démissionner. Mais avant de partir, elle consacre à une autre de ses passions, la photographie, les multiples recoins de cette maison et ses différents étages. Des photos qui sont le reflet nostalgique d’un monde en déshérence. Quinze ans plus tard, alors qu’elle travaille avec le poète Marc Dugardin sur un livre composé d’autres photos dont elle est l’auteure, Voyageurs que nous sommes (La ravine, 2009), elle présente celles de La Proue à Pierre Mertens. L’écrivain est subjugué. Une complicité nait. Muriel Claude – son nom de plume composé de ses deux prénoms – et Mertens cosigneront en 2014 À la proue, publié par les éditions CFC, dans une de leurs plus belles collections : « La ville écrite ». Cet ouvrage né de la relation entre Pierre Mertens et Muriel Claude/Verhaegen s’ouvre sur le cahier de photographies, suivi par les textes de l’une et de l’autre pour nous dire leur passion partagée des livres et de tout ce qui nous les rend si proches. Après la lecture de ces pages, on ne peut s’empêcher d’imaginer la libraire retrouver son « rêve de petite fille de rentrer dans le livre, d’en devenir le personnage et de modifier ainsi le cours de l’histoire. » (À la proue)

Michel Torrekens

En pratique

CFC

La librairie et maison d’édition CFC ©Michel Torrekens

Maison CFC (éditions & librairie) :
Place des Martyrs, 14 à 1000 Bruxelles.
02/227.34.00 ou info@maisoncfc.be
Site internet : https://www.maisoncfc.be/fr/


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 201 (janvier 2019)