Portes et livres ouverts : les Lundis de Rhode

Monique Lambert et Ariane Le Fort pour la 100e des Lundis

Monique Lambert et Ariane Le Fort pour la 100e des Lundis (c)DR

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir l’œuvre d’auteurs belges francophones. Des lieux essentiels puisqu’ils permettent de mettre un visage sur un nom et d’entendre l’écrivain s’exprimer en direct sur son travail, sous différentes facettes. Partons à la découverte de ces lieux. Dans ce numéro, la Bibliothèque Charles Bertin, à Rhode-Saint-Genèse, qui vient de fêter les 20 ans de ses Lundis.

L’histoire littéraire a retenu le nom de Sainte-Beuve pour ses Causeries du Lundi. Celle des lettres belges retiendra peut-être un jour les Lundis de la Bibliothèque Charles Bertin, à Rhode-Saint-Genèse. Depuis vingt ans, un lundi par mois, la bibliothèque invite un écrivain belge, avec le but avoué de promouvoir la littérature de notre pays lors de soirées conviviales.

Chez Charles Bertin

Ces Lundis sont nés à l’initiative d’un de nos auteurs majeurs, Charles Bertin, qui a donné son nom à cette bibliothèque à l’architecture moderne, sur une petite place d’une commune à facilités de la périphérie bruxelloise. Homme de culture, Charles Bertin s’est battu de son vivant pour ce lieu de transmission et pour la francophonie.

Cette bibliothèque, qui existe depuis 1938, s’intègre dans un projet plus vaste dont l’objectif est de permettre aux francophones de Rhode-Saint-Genèse d’organiser et de participer à des activités dans la langue de Voltaire. Ce projet est porté par l’Association culturelle de Rhode-Saint-Genèse que Charles Bertin, encore lui, créa en 1972. En 1998, elle se constitue en ASBL. Outre les Lundis, la bibliothèque propose ses activités habituelles de prêt avec un catalogue (consultable en ligne) de plus de 24.000 titres, des animations pour enfants comme les Conteries, un accès wifi gratuit, un cercle de lecture, etc.

Décédé en 2002, il a publié une œuvre importante. Il fut poète, dramaturge, romancier. Nombreux sont les lecteurs qui se souviennent de ce récit intime, émouvant, pudique et poétique intitulé La petite dame en son jardin de Bruges, sorti en 1996 chez Actes sud (Babel n°341). Il entama sa carrière romanesque chez Albin Michel avec Journal d’un crime (1961, « Espace Nord » n° 173), puis Le bel âge (1964), qui lui valut le prix Rossel. Impossible de citer tous ses ouvrages, mais il serait injuste de ne pas évoquer son travail d’essayiste qui lui permit de mettre en avant plusieurs de nos écrivains comme son oncle Charles Plisnier ou Marcel Thiry. D’une certaine façon, les Lundis de Rhode-Saint-Genèse poursuivent les efforts de celui qui fut un véritable passeur pour nos lettres, élu membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en 1967.

Les « salons » de Lilly et Monique

Il y a vingt ans, Charles Bertin s’adjoint les services d’une passionnée pour animer ces soirées : Lilly Dallemagne, qui passa son examen de bibliothécaire pour professionnaliser son bénévolat. Active au sein du réseau des bibliothèques communales d’Uccle qu’elle avait rejoint en 1998, elle poursuivait un double objectif : promouvoir la démocratisation de la culture et inciter au plaisir communicatif de la lecture. Multipliant les initiatives, elle invita aux soirées du Lundis aussi bien des auteurs confirmés comme Jacqueline Harpman, Pierre Mertens, Michel Lambert, Jean-Luc Outers que des auteurs à leurs débuts comme Amélie Nothomb, Caroline Lamarche, Jean-Philippe Toussaint, Xavier Hanotte, Elisa Brune, Vincent Engel… Tous et toutes ont construit depuis une œuvre originale et de qualité.

En 2004, suite au décès inopiné de Lily Dallemagne, Monique Lambert prit la relève avec le même enthousiasme. « J’ai toujours été une « folle de livres », avoue-t-elle, et j’ai eu l’occasion, dans les années 70, d’entrer dans le groupe de lecture que Lily Dallemagne avait créé. Je suis devenue un peu son bras droit, surtout quand elle a commencé les Lundis. À sa mort brutale, en 2004, je l’ai remplacée. J’ai animé les Lundis pendant dix ans avec beaucoup de plaisir et ça m’a apporté beaucoup. À l’époque, je trouvais que la littérature de chez nous était un peu la parente pauvre de la littérature francophone (elle l’est toujours vis-à-vis des critiques français qui en parlent peu, à part des phénomènes comme Amélie Nothomb). Il suffit de lire Le Monde, Lire ou Le magazine littéraire pour s’en apercevoir. »

Plus de cinquante auteurs, dans des domaines variés, mais aussi des professionnels de l’édition ou de la traduction, ont été reçus avec passion et talent par Monique Lambert. Avec la collaboration de Françoise Pellegrin, la littérature pour enfants et adolescents ne sera pas oubliée. Un engagement que salue Llewellyn Losfeld, l’actuel bibliothécaire dirigeant : « Durant ces dix années, la Bibliothèque Charles Bertin a bénéficié de son apport culturel impressionnant, enchaînant les heures de lecture et d’écriture ». Les Lundis se font un nom et fidélisent un public croissant qui attend ce rendez-vous littéraire où la rencontre avec un écrivain se déroule en toute simplicité. Un succès qui battra un record de fréquentation en rassemblant plus de cent personnes autour du scénariste de bandes dessinées, Jean Van Hamme. Au point de devoir « délocaliser » la rencontre dans la salle des fêtes d’une école voisine, la bibliothèque ne pouvant accueillir tant de bédéphiles !

Vingt ans et après

L’aventure des Lundis se poursuit aujourd’hui avec un nouvel animateur, lecteur de la bibliothèque. Luc Vandermaelen apporte aux rencontres ses talents de comédien. Il a travaillé dix-sept ans au Théâtre Poème, autre lieu culturel de découvertes littéraires en tous genres, et joué dans plus de nonante spectacles à ce jour. Il a également été animateur sur la radio Musiq3 et participe régulièrement à la Foire du Livre. « Débarqué à Rhode à l’été 2012, se souvient-il, j’ai eu le plaisir de présenter à la bibliothèque et pour la toute première fois, L’homme qui plantait des arbres, récit de Jean Giono, en guise de préparation à un spectacle que je donne depuis. À la suite de quoi Llewellyn m’a demandé de faire quelques lectures publiques, dont une en hommage à Charles Bertin. Quand Monique a décidé de passer la main des rencontres d’auteurs, elle et Llewellyn m’ont proposé de prendre sa suite. »

Avec curiosité, il s’initie à la littérature belge et partage avec enthousiasme ses découvertes. « La littérature, je ne savais trop ce que c’était jusqu’au jour où j’ai lu Les faux-monnayeurs d’André Gide. Je n’avais jamais rien lu de tel. À partir de là, j’ai pu commencer à faire ma différence entre un bon livre et l’art.

Et quand j’ai lu La confession anonyme de Suzanne Lilar, les romans de Marie Gevers, Johan Daisne ou Hubert Lampoo, la poésie de Verhaeren, j’ai compris que mes racines étaient flamandes; jusque-là, je me pensais citoyen du monde, explique Luc. Notre littérature est riche, et si mes goûts me ramènent plutôt au tournant des 19ème et 20ème siècles (Proust, Gide, Stendhal, Radiguet, Cendrars, Apollinaire, et chez nous Émile Verhaeren, Camille Lemonnier, Georges Rodenbach), je suis heureux de découvrir quelquefois des perles plus récentes de chez nous. » Et de citer quelques romans comme Vera, de Jean-Pierre Orban (qui vient de se voir couronner du Prix du Livre européen décerné par un jury que préside Erri De Luca), Sur des prés d’herbe fraîche de René Lambert, Tremblée, d’Anne Van Maele, Éternels instants d’Edgar Kosma, Le grand menu de Corinne Hoex… Souvent, des premiers romans qui augurent d’une carrière qui se confirmera. Et il ajoute : « Pour l’ensemble de son œuvre, je voudrais citer Pierre Mertens, dont j’admire vraiment l’écriture. Hors frontières, je m’en voudrais de ne pas citer Ah! Mbongo (Ah! L’argent), de Paul Lomami Tshibamba, et La symphonie du loup, de Marius Daniel Popescu, deux joyaux dignes des plus grands. » Mais cela, c’est une autre histoire…

C’est ainsi que plus de cent auteurs belges ont défilé au gré des saisons à la Bibliothèque Charles Bertin et, en septembre dernier, une soirée spéciale célébrait les vingt ans de ces rencontres. L’invité en fut Jacques De Decker, autre ambassadeur des lettres belges dont il est un des connaisseurs les plus pointus. Il a notamment écrit plusieurs ouvrages à partir de son travail de critique littéraire au journal Le Soir notamment, mais également comme animateur des Coups de midi des Riches-Claires, dans la bibliothèque du même nom. Nous y reviendrons. Jacques De Decker a ainsi publié Les années critiques : les Septentrionaux, en 1990, En lisant, en écoutant… en 1996 et La brosse à relire en 1999, qui vient d’être réédité dans la collection Espace Nord (n° 331). Secrétaire perpétuel à l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, il exerce ses talents dans les genres littéraires les plus divers (théâtre, roman, nouvelle, essai, biographie, traduction et adaptation). On pouvait difficilement imaginer personne mieux placée pour évoquer la littérature belge, passée et présente, sans oublier les promesses pour demain et les vingt ans à venir des Lundis de Rhode.

Michel Torrekens

En pratique

Bibliothèque Charles Bertin
Parvis Notre-Dame 5, 1640 Rhode-St-Genèse
Tél. : 02/358.10.53.
Email: biblio@charlesbertin.be.
Site internet : http://biblio.charlesbertin.be


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 189 (janvier 2016)