La vérité sur Marie obtient le prix Décembre

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Longtemps, Jean-Philippe Toussaint, qui a publié son premier roman (La salle de bain) en 1985, a vu son nom apparaitre sur les listes préliminaires des grands prix littéraires parisiens de l’automne… mais il ne remportait jamais aucun d’entre eux. Si une première récompense lui avait été adressée en 1997 pour La télévision, il s’agissait du prix Rossel, une distinction belge réservée aux auteurs belges.

L’écrivain s’est vite habitué à cette situation et a poursuivi son chemin, en profitant de la reconnaissance que lui accorde un lectorat francophone fidèle de 20.000 personnes, une  critique souvent enthousiaste, des universitaires prompts à étudier son œuvre et de multiples traductions, qui font de lui un auteur à succès en Asie – particulièrement au Japon.

Depuis peu, Toussaint a cependant changé de statut : il fait désormais partie des incontournables de l’automne. Son précédent roman, Fuir, s’était trouvé en 2005 dans le dernier carré du Goncourt (qui avait été attribué à François Weyergans) et lui avait valu le prestigieux prix Médicis. La vérité sur Marie, sorti en septembre, a atteint également la finale du prix Goncourt et y a obtenu deux voix (celle de Bernard Pivot et de Patrick Rambaud d’après Le monde) contre cinq voix à Marie Ndiaye et une à Delphine de Vigan. Mais surtout, Toussaint vient de recevoir le prix Décembre, un prix récent, mais très recherché, qui se veut anticonformiste et anti-Goncourt et dont le jury réunit des personnalités telles que Soller, Beigbeder, Garcin ou Laure Adler.

Ces récompenses ne sont pas sans conséquence : le Médicis de Fuir avait multiplié le nombre de ses lecteurs et le prix Décembre est doté de 30.000 euros. Toussaint ne boude donc certainement pas son plaisir, mais il a pris la sage décision de ne pas changer d’habitude et a passé la période des prix loin de l’agitation parisienne.

Toujours est-il que l’on ne peut que se réjouir de ce prix qui couronne un roman dont la presse a souligné unanimement la très grande qualité littéraire. La romancière Marie Desplechin a ainsi écrit dans Le monde des livres : Toussaint « a le génie de faire entendre ce qu’il choisit de taire. Pour du roman, c’est du roman : tout le bonheur du genre, et rien de débraillé ». « C’est Rembrandt et Turner à la fois, mais qu’il faut imaginer poudroyant sur deux cent pages », s’est exclamé Eric Loret dans Libération. « Si le nouveau livre de Jean-Philippe Toussaint exerce une telle séduction, c’est que le style en est souverainement maitrisé », a déclaré Jacques De Decker dans Le soir. Jérôme Garcin parodie César en ouvrant son article par un vibrant : « De tous les écrivains belges, Jean-Philippe Toussaint est le plus averti ». Bernard Pivot, dans les colonnes du Journal du dimanche, n’est pas moins exclamatif : « Oui, Jean-Philippe Toussaint est un dieu de l’Olympe qui, avec bienveillance ou avec fureur, manipule quelques créatures bien choisies et les projette dans des aventures planétaires sous les signes d’Éros et de la Lufthansa ». Plus posé, Patrick Kéchichian explique dans La croix : « Grâce à sa remarquable maitrise, Jean-Philippe Toussaint parvient à mettre en crise, au-delà du couple de ses héros, la réalité elle-même dans laquelle ils sont immergés ». Et le professeur Dubois propose déjà une fine analyse de ce roman sur le site Médiapart, notant entre autres : « La puissance de cette Vérité sur Marie tient d’abord à un style qui envoute alors même qu’il multiplie les signes narquois ». Ce sont donc un auteur pleinement maitre de ses moyens et un roman époustouflant de virtuosité qui ont été primés par le prix Décembre en ce mois de novembre 2009.

Laurent Demoulin


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°159 (2009)