L’inquiétante étrangeté de l’autre

Séverine RADOUX

wiart_radouxLa narratrice, dont nous ne connaîtrons pas le prénom, vient d’assister à un concert avec Pierre, son mari. Elle congédie la baby-sitter et accomplit des gestes routiniers avant d’aller dormir. S’ensuivent une nuit agitée et une journée ponctuée d’une migraine. L’alcool ayant coulé à flots la veille, on ne s’inquiète pas plus que ça. La vie reprend son cours habituel, mais les nuits agitées persistent. Le trouble et l’anxiété gagnent peu à peu la narratrice. C’est que la source de son agitation nocturne est une voix familière, dont les insultes reviennent par bribes pendant la journée. « Vicieuse, sournoise. Avec tes airs de sainte-nitouche. » Cette voix est-elle réelle ? Qui dit cela ? Pourquoi ?

L’environnement de la narratrice devient alors plus étrange, inquiétant, oppressant. Un questionnement intérieur s’enclenche, lancinant et épuisant. Soudain, comme une évidence, la voix est identifiée : c’est celle de Pierre. Comment est-ce possible ? Un homme au regard si doux et aux gestes si tendres. L’éloignement de Pierre à cause d’un voyage à Genève signe l’arrêt des cauchemars chez la narratrice, ce qui nous donne un indice supplémentaire de la clé du mystère.

L’étau se resserre entre les deux personnages, le récit devient haletant. La narratrice observe son mari sans qu’il s’en aperçoive et capte subrepticement une dureté dans son regard et ses gestes, dureté qu’elle n’avait jamais remarquée auparavant : « L’espace d’un instant, je crus qu’il avait froncé les sourcils et que son expression, sous l’effet d’une ombre brève, s’était transformée ». La prise de conscience va plus loin : « L’idée que j’étais en train de faire l’amour avec un homme que je ne connaissais pas, dans une chambre obscure, me frappa l’esprit ». Entre l’épuisement, la peur et le dégoût, la narratrice tentera de se frayer un chemin dans toute cette étrangeté afin de comprendre ce qui lui arrive et qui est cet autre qu’elle a épousé. Quels secrets cache-t-il ? Comment était-il plus jeune ? L’anecdote de la cabane près du lac est-elle réelle ?

Le sommeil n’est pas un lieu sûr est le premier roman de Louis Wiart. L’auteur a pu d’entrée de jeu installer une atmosphère d’inquiétante étrangeté sans en faire trop. Le récit évolue à un rythme juste qui présente une intrigue crédible dans un climat de tension qui va crescendo. Sur le plan de la psychologie des personnages, l’auteur a l’intelligence de ne pas assener au lecteur des vérités toutes faites ou de raccourcis. Ses descriptions viscérales de ce que vit la narratrice de l’intérieur nous plongent dans la violence du quotidien d’une relation sous emprise.

Louis WIART, Le sommeil n’est pas un lieu sûr, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 111p., 10 €

♦ Lire un extrait de Le sommeil n’est pas un lieu sûr proposé par Les Impressions nouvelles