Archives par étiquette : fantastique

Miroir, ô mon miroir…

Loïc NOTTET, Les aveuglés, Michel Lafon, 2023, 270 p., 16,95 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782749938035

nottet les aveuglés le palais des murmuresNatan est un ado dont le quotidien a été bouleversé il y a quelques semaines lorsque sa sœur Théo a disparu. Même si la police a déclaré l’affaire classée et conclu à un suicide après l’enquête, Natan ne peut s’empêcher de penser que sa sœur est toujours vivante car aucun corps n’a été retrouvé. Il avait bien vu qu’elle avait changé récemment et il est convaincu qu’un détail lui a échappé pour comprendre sa disparition. Il la sent en difficulté et décide alors de mener sa propre enquête avec Miko, son ami de toujours, et Penny, une fille de son lycée qu’il connaît peu. Continuer la lecture

Un fantastique en quête de centre

Bacary SARR, Imaginaire de l’insolite et problématique identitaire dans les lettres belges francophones. Un nouveau fantastique ?, Presses Universitaires de Liège, Série « Littératures », 2021, 140 p., 18 €, ISBN : 978-2-87562-283-9

sarr imaginaire de l'insoliteUne énième étude sur le fantastique belge ? Le sujet n’est-il pas rebattu ? Et des spécialistes de la carrure d’un Baronian ne se sont-ils pas assez exprimés sur la question pour qu’on puisse enfin considérer le terrain comme défriché, balisé, connu ? Le spécialiste en comparatisme dans le domaine francophone Bacary Sarr anticipe cette remarque en avertissant d’emblée que son étude ne fera intervenir nul bestiaire à cornes ou à canines et ne convoquera aucun esprit à coup de table tournante. Se démarquant en effet du « fantastique conventionnel », il privilégie celui « qui se fonde sur une perception intérieure particulière de la réalité ». Continuer la lecture

Le pacte des femmes

Agnieszka LOSKA, Le néofantastique féminin d’Anne Duguël, Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego, 2020, 228 p., 8 € (29,90 zł), ISBN : 978-83-226-3864-4

loska le neofantastique feminin d anne duguelEn décembre 2020, parait en Pologne Le néofantastique féminin d’Anne Duguël, première monographie consacrée à l’autrice belge plus connue sous le nom de Gudule (célèbre pour ses romans destinés à la jeunesse).

Dans cet ouvrage, Agnieszka Loska, docteure en lettres à l’Institut d’Études littéraires de l’Université de Silésie, s’intéresse à l’autre versant de l’œuvre d’Anne Duguël. Celui consacré aux adultes. Si cette étude n’entend pas embrasser tous les livres de la boulimique autrice, elle permet d’entrevoir comment Anne Bocquillon-Liger-Belair (1945-2015) s’est emparée d’un genre cher aux lettres belges. Le fantastique. Comment, surtout, elle l’a fait évoluer. À sa façon. En déambulant « dans les méandres féminins ». Continuer la lecture

Un colloque autour du fantastique belge

colloque humour ironie

Les universités Extremadura (Cáceres, Espagne) et Marie Curie-Sklodowska (Lublin, Pologne) organisent un colloque virtuel les 28 et 29 avril autour du thème l’école belge de l’étrange « Humour, ironie et subversions dans l’école belge de l’étrange ». Continuer la lecture

Soleil noir

Monique-Alika WATTEAU, Je suis le Ténébreux, Névrosée, coll. « Femmes de lettres oubliées », 2020, 16 , ISBN : 978-2-931048-23-3

watteau je suis le tenebreuxSans courir l’anecdote, on ne peut évoquer l’œuvre artistique – picturale et littéraire – de Monique-Alika Watteau sans détailler quelques étapes de sa vie toujours en cours et débutée à Liège en 1929 sous le nom de Monique Dubois, fille du poète Hubert Dubois. Mariée au zoologiste belge Bernard Heuvelmans, fondateur de la cryptozoologie, elle divorce et épouse ensuite Scott Lindbergh, éthologue et fils du pionnier du vol transatlantique, avec qui elle partage aussi une passion pour les animaux et pour l’étude de leurs comportements, en particulier des singes hurleurs. Entretemps, très présente parmi les célébrités du Tout-Paris, elle  rencontre Yul Brynner et noue avec l’acteur une amitié amoureuse de plus de six ans. Et c’est tant le physique et le charisme de l’acteur (à qui elle doit son prénom additionnel d’Alika ou « petit félin » en langue tsigane) qui inspireront, formellement en tout cas, le personnage masculin de son quatrième et dernier roman, Je suis le Ténébreux, publié en 1962 sous ce pseudonyme de Watteau et qui fait l’objet aujourd’hui de cette réédition, à l’enseigne de la collection « Femmes de lettres oubliées ». Continuer la lecture

Jean Muno, Maître ès leurres

Jean MUNO, Jeu de rôles, Névrosée, coll. « Sous-Exposés », 2020, 210 p., 16 €, ISBN : 978-2-931048-42-9

muno jeu de rôlesDernier des neuf romans que l’on doit à Jean Muno (1924-1988), Jeu de rôles est bien davantage qu’un testament : il parachève une expérience littéraire globale et représente un aboutissement esthétique. Tenant de « l’école belge de l’étrange », Muno n’est pas à proprement parler un fantastiqueur. Les données de son onirisme, enraciné dans le réel, se renversent en une sorte d’« ironisme » magique dont il demeure un spécimen singulier. Continuer la lecture

Les débuts de Jean Ray

Jean RAY, Les contes du whisky, texte établi par Arnaud Huftier, postface de Jacques Carion et Joseph Duhamel, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2019, 256 p., 10 Ꞓ, ISBN 978-2-87568-420-2
Le carnet pédagogique « Le fantastique, autour de Jean Ray » est téléchargeable gratuitement sur le site Espace Nord

ray les contes du whisky espace nordEn 1925, le Gantois Raymond De Kremer, 38 ans, a déjà publié divers textes dans des périodiques, la plupart en néerlandais, sous le pseudonyme « Jean Ray ». C’est alors que La Renaissance du Livre édite en français – désormais sa langue d’écrivain – son premier volume, Les contes du whisky, recueil de vingt-sept nouvelles étranges parues en revue auparavant, sauf une. Continuer la lecture

L’alter-belgitude, ce frémissement enténébré qui court de Bosch à Spilliaert…

Un coup de cœur du Carnet

Jean RAY, Le grand nocturne / Les cercles de l’épouvante, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 434 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-419-6
Le carnet pédagogique « Le fantastique, autour de Jean Ray » est téléchargeable gratuitement sur le site Espace Nord

Rappel. Espace Nord est une collection patrimoniale consacrée aux perles de notre histoire littéraire (belge francophone). Son catalogue, remarquable, appartient à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a confié l’édition, par marché public, aux Impressions Nouvelles.

Observations préliminaires. Les ouvrages sont de magnifiques objets, excellemment orchestrés. Celui-ci n’y déroge pas : de la superbe illustration de couverture (de Romain Renard) à la mise en page soignée, en passant par l’accompagnement éditorial d’Arnaud Huftier, la postface de Jacques Carion et Joseph Duhamel, les dossiers biographique et bibliographique. Continuer la lecture

Délice et terreur

Un coup de cœur du Carnet

Jean RAY,Le carrousel des maléfices, postface de Jacques Carion et Joseph Duhamel, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 254 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-480-6
Le carnet pédagogique « Le fantastique, autour de Jean Ray » est téléchargeable gratuitement sur le site Espace Nord

Quand la rédaction du Carnet vous propose de chroniquer la sortie, dans la collection Espace Nord, d’un recueil de Jean Ray, vous êtes partagé entre délice et terreur. Délice parce que perspective d’une lecture délicieuse, plaisir multiplié par les échos de lectures anciennes, nostalgie d’une époque révolue où, étudiant, je tournais, halluciné, les pages de Malpertuis, déjà chez Espace Nord, ou celles des Cercles de l’épouvante et du Grand nocturne, pages qui ne m’ont pas quitté, dont j’ai fréquenté régulièrement les mystères, en témoigne l’état de mes bouquins. Délice aussi parce que quand on est belge francophone et qu’on aime la littérature, on a l’âme caressée du côté de la bibliothèque de savoir qu’une collection patrimoniale fait du si bon travail. Mais terreur, bien entendu, parce qu’on se sent bien petit devant l’ampleur de la tâche. Continuer la lecture

« … toute l’horreur de Malpertuis »

Jean RAY, Malpertuis, Histoire d’une maison fantastique, édition établie par Arnaud Huftier, postface de Jacques Carion et Joseph Duhamel, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 300 p., 10 €, ISBN : 978-2875684790

Pour les férus de fantastique, le nom Malpertuis est, tout comme celui de Ctulhu, synonyme d’épouvante. Chez les amateurs de « Nos Lettres » en général, le titre Malpertuis résonne comme un moment capital de l’histoire littéraire belge et se hisse au rang d’un classique. La définition, attribuée à Mark Twain, de cette catégorie d’ouvrages est connue : « un livre dont tout le monde parle et que personne n’a lu ». Et c’est sans doute le sort réservé depuis sa publication, au mitan de la Seconde Guerre mondiale, à ce roman-monstre, ardu, complexe, unique. Continuer la lecture

« À quoi penses-tu ? »

Un coup de cœur du Carnet

Emmanuel RÉGNIEZ, Madame Jules, Tripode, 2019, 131 p., 15 €, ISBN : 9782370551986

Il y a trois ans, nous chroniquions pour le Carnet le premier roman d’Emmanuel Régniez, Notre Château, et nous affichions notre impatience à lire son deuxième opus. Nous avons attendu. Et le voici, l’impeccable et tendu Madame Jules, toujours aux éditions Le Tripode.


Lire aussi : notre recension de Notre Château


Madame Jules, la narratrice, est l’épouse de Monsieur Jules. Elle l’aime, et leur couple semble, dans le tournoyant délié des phrases de Madame Jules, d’une perfection totale. Il est son mari et son amant. Ils vivent dans un état de fusion et de bonheur permanent, avec le sentiment d’être seuls au monde. Mais cette belle mécanique se grippe. Un soir où Monsieur Jules ne parvient pas à atteindre une érection satisfaisante, une fissure se dessine. « À quoi penses-tu ? À toi, je pense à toi. » Aux certitudes d’airain succèdent peu à peu les questions, qui s’insinuent dans les mots de Madame Jules comme un lent poison dans ses veines, infectant le texte et le colorant d’ironie. Continuer la lecture

Rendez-vous impossible au château de Portavent

Pierre  HOFFELINCK, Les héritiers de Portavent, Murmures des soirs, 2019, 134 p., 16€, ISBN : 978-2-930657-49-3

Enfants, Irina et Pavel, qui sont cousins, ont passé leurs vacances d’été au château de Portavent, en compagnie de leur tante Olga. À sa mort, celle-ci leur a légué le château de leur enfance, où ils se retrouvent des années plus tard. Ainsi commence Les héritiers de Portavent, deuxième roman du Liégeois Pierre Hoffelinck.

Le récit explore l’effet des retrouvailles sur ces deux personnages, qui se sont quittés enfants et se revoient devenus adultes, dans un lieu isolé, chargé d’histoire. Retrouvailles, mais aussi huis clos, car, hormis Irma, la bonne, les deux cousins sont seuls au château. Continuer la lecture

Matriochka de Philippe Remy-Wilkin

Philippe REMY-WILKIN, Matriochka, Samsa, 2019, 60 p., 9 €, ISBN : 978-2-87593-209-9

Philippe Remy-Wilkin orne la signature de ses courriels et les notices bibliographiques le concernant de la mention « auteur littéraire » qu’il semble affectionner. Sans doute cette formulation embrasse-t-elle davantage la diversité éditoriale des écrits de celui qui est à la fois essayiste, critique littéraire, nouvelliste et romancier. Philologue de formation, Philippe Remy-Wilkin est passionné d’Histoire et nous a donné déjà une remarquable étude consacrée à Christophe Colomb, Christophe Colomb, Le découvreur et la découverte : mythes et réalités. On lit aussi régulièrement ses chroniques sur Karoo et Le Carnet et les Instants, de façon épisodique ses nouvelles dans la revue Marginales, et ses prises de position sur les réseaux sociaux.

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Mélusine et son double

Franz HELLENS, Mélusine ou la robe de saphir, Postface de Paul Aron, Impressions nouvelles, coll. “Espace Nord”, 2019, 368 p., 9 €, ISBN: 978-2-87568-408-0 ; Le double et autres contes fantastiques, Postface de Michel Gilles, Impressions nouvelles, coll. “Espace Nord”, 2019, 318 p., 9 €,  ISBN: 978-2-87568-410-3

Espace Nord poursuit sa politique de réédition et de réimpression de textes des « fantastiqueurs » belges avec deux titres de Franz Hellens, l’un clairement fantastique, Le double, l’autre le préfigurant, Mélusine.

Dans le vaste panorama du fantastique en Belgique, Franz Hellens occupe une place originale, d’une manière qu’il a lui-même contribué à définir, par l’idée de « fantastique réel ». Le double et autres contes fantastiques est une anthologie reprenant des nouvelles publiées en fait sur près de cinquante ans, depuis Nocturnal en 1919 jusqu’à Le dernier jour du monde en 1967. L’intérêt du choix est de pouvoir saisir l’évolution du fantastique d’Hellens ainsi que ses enjeux et manières qui ont varié. Continuer la lecture

Gérard Prévot : « Emmène-moi… »

Un coup de cœur du Carnet

Gérard PRÉVOT, Contes de la mer du Nord, préface de Jean-Baptiste Baronian, postface d’Élisabeth Castadot, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2018, 271 p., 8,5 € , ISBN : 978-2-87568-407-3
Un carnet pédagogique téléchargeable gratuitement accompagne le livre

Relire Gérard Prévot est toujours un moment riche. Et l’on se dit que c’est une réelle injustice qu’il n’ait jamais été apprécié à sa juste valeur. Peut-être cela vient-il de sa relative marginalité et du fait qu’il a écrit dans des genres très différents : poésie, roman, nouvelles fantastiques, romans populaires ?

Au début des années 70, il envoie à Jean-Baptiste Baronian, alors directeur littéraire de Marabout, des nouvelles qui vont constituer quatre livres. En 1986, dix ans après la mort de Prévot, Baronian rassemble onze contes tirés des différents volumes ; c’est ce choix qui est réédité aujourd’hui. Continuer la lecture

Le souffle de l’insolite

Un coup de cœur du Carnet

Carino BUCCIARELLI, Dispersion, Encre Rouge, 2018, 178 p., 18 €, ISBN : 978-2-37789-094-1

bucciarelli dispersion.jpgVoilà plus de quinze ans que ses lecteurs attendaient un nouveau livre de Carino Bucciarelli. Leur patience a été payante puisque 2018 voit la sortie d’un recueil de nouvelles, Dispersion, de très bonne tenue.

Carino Bucciarelli commence son recueil avec le texte qui lui donne son titre, une histoire incroyable dans le plein sens du terme puisque, dans un cadre anodin, il nous présente un homme qui se liquéfie membre après membre au contact de saletés. Le récit est vécu comme un cauchemar et l’auteur interpelle au final son lecteur, l’impliquant dans le frisson qu’il provoque. La suite est du même tonneau avec des nouvelles relativement courtes d’une rare efficacité. Le réel implose de partout dans ces histoires où tout est possible : un rapace qui parle, une relation quasi œdipienne avec un… cactus, une armoire qui… respire, un fils qui retrouve son père sous la forme d’une belette, un personnage qui observe le monde par son nombril, une résurrection par un certain Jizi Cri ! Continuer la lecture