Michel HOST, Une vraie jeune fille, Weyrich, 2015, 197 p., 14 €/ePub : 9.99 € ISBN : 9782874893131
Méfiez-vous des auteurs lorsqu’ils font appel à la vérité, surtout dans leurs titres. Sauf évidemment s’ils veulent précisément vous prévenir qu’ils sont faiseurs d’illusions, ou qu’ils manient volontiers l’humour un tantinet décalé, ce qui semble bien être le cas de Michel Host.
Prenons la première d’une série de sept nouvelles, qui sont autant de portraits de jeunes filles, et qui donne son titre au recueil. Tout ici est singulier et grande fiction. Dans un château entouré d’une vaste propriété, vit la jeune Atta, livrée à elle-même, servie par des domestiques. Elle gère le domaine comme son royaume et s’adonne à des rituels de chasse pour le moins étranges. Quand elle rencontre la réalité qui a envahi les limites de son territoire, c’est le choc, et une belle enquête en vue pour les autorités dont un gendarme rend compte en retraçant peu à peu les contours d’un univers insoupçonné. Ailleurs, une fringante Apolline désoeuvrée jette son dévolu sur un oncle fantasque qui amène un peu de fantaisie dans la triste demeure familiale, pour s’enfuir ensuite avec lui dans sa Maserati à des vitesses folles. Lui succède Sophronise qui a donné naissance à un garçon dont l’évolution physique et les comportements l’inquiètent et que l’on surnomme Petit Faune, jusqu’au jour où ses craintes de mère se réalisent. Avec « Les batailles de l’Oncle Mike », un groupe de jeunes gens découvrent la culture antique auprès d’un vieux savant déjanté et mettent en scène les grandes batailles qui ont forgé les nations de l’Antiquité. L’érudition déployée et apprivoisée côtoie les émois des jeunes gens que tenaillent d’autres envies de duels. Puis survient Solange, une mère médecin qui vient de décéder et qui a laissé à son fils qu’elle a élevé seule une lettre dans laquelle elle lui révèle le mystère de sa naissance, l’identité de son père. Et surtout elle l’incite à s’ouvrir sans réserve à la vie. La croisière à bord du Pompidolivm puis « Tandis que j’agonise » narrent le séjour en hôpital d’un homme qui doit subir une intervention chirurgicale et le cérémonial d’un décès. On y mesure à quel point l’univers des soins est un périmètre où les hommes s’abandonnent avec délice et effroi aux mains expertes de femmes souvent bien plus jeunes qu’eux.
Ces sept récits ont en commun l’omniprésence des jeunes filles. Tantôt ingénues, tantôt complètement fantasques, toujours intelligentes, elles irradient une force à laquelle peu d’hommes résistent. Celle de leur séduction, de leur beauté, de leur grâce, mais aussi de leur talent, de leur savoir-faire, de l’autorité fascinante qu’elles déploient pour modeler leur entourage. L’univers qu’elles ont construit autour d’elles peut s’avérer inquiétant, terrible même, car elles tolèrent peu que l’on bouscule les rituels qu’elles ont mis en place et dans lequel elles vous ont assigné un rôle. Comme pour nous rappeler qu’ici tout est fable, suivent « Trois contes pour aujourd’hui » dont la tonalité, sans s’écarter totalement de l’ambiance des sept premières nouvelles, revêt une dimension plus onirique. Il y est question d’une petite fille et d’un crapaud et de leur monde commun dévasté, de deux jeunes en cavale qui se la coulent douce et dont le rêve prend fin brutalement, et d’une fête incroyable que donne un père en l’honneur du mariage de sa fille. A chaque fois, on ne peut que se laisser prendre au jeu de ces dix récits. Michel Host est un conteur hors pair qui manie le verbe avec délectation. Ses textes oscillent entre rêve et réalité, entre douceur et cruauté, convient le présent tout en revisitant le passé, glissant çà et là des commentaires et allusions à peine voilés qui dénoncent gaillardement les turpitudes de notre monde. Il y a dans ce recueil une forme d’irrévérence permanente dont la liberté joyeuse et colorée fait du bien là où elle passe mais aussi et surtout une volonté de mettre en avant la fable pour le plaisir de l’écriture et de la lecture. Ogres, fées et farfadets sont à deux pas. De quoi donner l’envie de redécouvrir l’œuvre d’un auteur qui a poursuivi son bonhomme de chemin en roue libre depuis Valet de nuit, roman paru en 1986 qui lui avait valu le prix Goncourt. Comme Michel Host fait bien de revendiquer avec malice sa double nationalité belgo-française !
Thierry Detienne