Et c’est ainsi qu’Alain est grand

Alain VAN CRUGTEN, La Rébrolution et autres histoires à demi belges, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « La Petite Belgique », 144 p., 15 €

van crugtenDoit-on dire qu’Alain Van Crugten est d’abord traducteur sous prétexte qu’avant de publier ses propres romans et nouvelles, il s’est attelé à rendre dans un français admirable maints chefs-d’œuvre des littératures polonaise, tchèque ou flamande de Belgique ? Certes, sans lui, le public francophone trouverait moins de bonheur à s’immerger dans la prose fluviale et chatoyante de Witkiewicz, dans les étranges récits de Bruno Schultz, dans les pièces de Tom Lannoye ou d’Hugo Claus… Là, déjà, on salue bien bas. AVC-sar !

Il serait cependant injuste que, derrière le passeur au discret service des autres, l’on néglige de distinguer l’écrivain. Cet authentique homme de lettres sait en effet manier les mots à son usage, et avec quelle jubilation. Une fois noué le pacte – tout en clauses fantasques et en reconnaissance mutuelle de dérision –, le lecteur est embarqué dans des histoires abracadabelges, des projets littéraires qu’il n’aurait guère déplu au regretté Blavier d’introduire dans sa somme sur les fous littéraires, des jets de prose pissés dru par notre Manneken-Pessoa.

Comme tous les grands délirants, Alain Van Crugten adore trier, classer… Et il y a de quoi faire, avec le brol de son imaginaire ! Aidons-le. Nous commencerons par lister les hypothétiques célébrités qui partagent le privilège de se prénommer « Al ». Plutôt qu’à celle de Hemingway, nous nous intéresserons à la bio d’un personnage autrement considérable, le kiosquier à haut potentiel Fernand. Nous aiderons Pascal Saillemert à ranger les rouleaux de papier-cul dont l’inonde, par voie postale, un donateur (ou est-ce une donatrice ?) anonyme. Nous prendrons des nouvelles de ces « faux disparus » que le plumitif Paul Péquet, Liégeois en panne d’inspiration, se met à inventer à tour de stylo. Il s’agira enfin de nous enfiler le traité sur la masturbation rédigé par un Lénine plombé par la solitude de son wagon, et nous aurons alors mérité de savourer un bon plat de « gorneaux », ce mollusque réactionnaire en diable puisque unisexué et vivipare.

Bref, suivons l’injonction de cet entarteur qui remplace la crème de ses mignardises par de l’encre : « Fabulons c’est fabuleux ! »