Archives par étiquette : L’Âge d’Homme

De la plaie à la plénitude, la chair se fait verbe

Un coup de cœur du Carnet

Charline LAMBERT, Une salve, Préface de Christophe Meurée, Âge d’homme, coll. « Littératures », 2020, 41 p., 17 €, ISBN : 978-2-8251-4811-2

Après Chanvre et lierre (Le Taillis pré, 2016, Prix Lockem de l’Académie et prix de la première oeuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles) placé sous le signe d’Ulysse et de son combat intérieur, puis Sous dialyses (L’Âge d’homme, 2016), où le ralentissement des flux vitaux était évoqué sous le signe d’un « même mouvement de rétention » provoquant « un rien de félicité », Désincarcération (L’Âge d’homme, 2017) disait une forme d’extraction de soi permettant une incorporation du sujet à l’ensemble de la matière vivante. Une salve poursuit le travail de réflexion de Charline Lambert sur le corps parlant : de recueil en recueil et à l’intérieur même de chaque corpus poétique, trois espaces actantiels sont discernables. Continuer la lecture

Où l’on se dit qu’un jour on arrivera à sortir de soi

Un coup de cœur du Carnet

Charline LAMBERT, Désincarcération, L’Âge d’homme, coll. « Contemporains », 2017, 12 €, ISBN : 978-2-8251-4714-6

Tu veux désincarcérer la bête de toi,
tu as des bouches à nourrir, et combien

de chiens affamés

au-dedans, en attente

d’une taxidermie.

Tu fourres toujours dans ta structure,
sous ta peau de cuir,
beaucoup trop d’humain.

lambert desincarcerationDésincarcération est un livre épatant. Une tentative impossible. Un geste impossible. Son programme est vaste et ambitieux. Sans compromis. C’est que Charline Lambert, toute jeune poète, même pas trente ans, ne lâche rien. Tourne sans fléchir autour d’une question. Vaste question. Sans réponse. Comment sortir de notre condition de bête ? De nos incarnations ? De la chaîne multimillénaire des générations ?

Parce que voilà bien tout le malheur : un jour, une fois, nous nous incarnons. Débarquons sur Terre. Via la chair de nos mères. Leur passant littéralement à travers le corps. Nous désincarcérant de leurs ventres. Poupons braillards geignant, peut-être, déjà, de nous savoir carcasses. Futures carcasses. Poupons braillards chialant, peut-être, déjà, sur notre sort. Allez savoir. Continuer la lecture

Mémoires d’un homme qui en a trop vu

Michel ROSTEN, Le temps des nervis, L’Âge d’Homme, 2015, 312 p., 25 €

Michel Rosten - Le Temps des NervisJean Guillemin, à l’entame de son récit, se confie à nous : en démissionnant de son poste de ministre des affaires étrangères, il a ressenti le besoin de raconter ses souvenirs. Les mémoires d’hommes politiques, s’ils nous captivent ou nous intriguent parfois par la truculence des détails et l’importance des enjeux, peuvent aussi nous aider à comprendre le fonctionnement de la chose publique, c’est-à-dire former le citoyen qui est en nous. C’est plus vrai encore dans le cas de mémoires d’un homme politique fictif, personnage signifiant plus que lui-même, essence même de dizaines d’années d’observation journalistique de l’auteur. Le roman est une des manières de sortir du registre de l’anecdote et, paradoxalement, d’atteindre la vérité. Continuer la lecture

Se rafraîchir en barbarie

Jeannine PAQUE

hoexJadis vivait ici, d’emblée, nous voici bien loin en lisant ces mots, et déjà rêveurs. Corinne Hoex a-t-elle décidé de nous enchanter en décidant de ce titre ? Continuer la lecture

« Le jour sent bon le cerisier »

Francine GHYSEN

caremeL’ultime recueil posthume de Maurice Carême, Sac au dos, nous emmène sur les pas du poète, chantant les chemins buissonniers, s’émouvant des paysages, cueillant images et impressions. Continuer la lecture

Humains de compagnie

Audrey CHÈVREFEUILLE

gerardIls s’appellent Osbert, Smiley, Minou, Ducker ou Ursus. Chien, chat, moineau, ours en peluche : ils vivent tous auprès de nous, humains de compagnie. Nous les imaginons dépendants de nous, dénués de pensée, passifs, ces animaux de compagnie. Et si la réalité était tout autre ? Continuer la lecture

Et c’est ainsi qu’Alain est grand

Alain VAN CRUGTEN, La Rébrolution et autres histoires à demi belges, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « La Petite Belgique », 144 p., 15 €

van crugtenDoit-on dire qu’Alain Van Crugten est d’abord traducteur sous prétexte qu’avant de publier ses propres romans et nouvelles, il s’est attelé à rendre dans un français admirable maints chefs-d’œuvre des littératures polonaise, tchèque ou flamande de Belgique ? Certes, sans lui, le public francophone trouverait moins de bonheur à s’immerger dans la prose fluviale et chatoyante de Witkiewicz, dans les étranges récits de Bruno Schultz, dans les pièces de Tom Lannoye ou d’Hugo Claus… Là, déjà, on salue bien bas. AVC-sar ! Continuer la lecture

Jacques Calonne, l’insaisissable noctuelle

Un coup de coeur du Carnet
Pierre MALHERBE

calonne_malherbeOutre une délicate pièce pour piano de Maurice Ravel, dédiée à Léon-Paul Fargue, il existe une myriade de noctuelles, près de vingt-cinq mille espèces à la surface de la terre, semble-t-il, et qu’on appelle un peu plus anonymement des papillons de nuit. Les chenilles de noctuelles sont la terreur des agriculteurs et des passionnés des jardins, car, polyphages, elles se nourrissent de tout ce qui leur passe sous le nez, et uniquement la nuit bien sûr – la journée, elles digèrent leur festin et se reposent avec nonchalance. Jacques Calonne, né en 1930 à Mons, fait partie de cette grande famille des noctuelles, à ceci près qu’il n’est la terreur de personne ayant les doigts verts. Continuer la lecture

Ad Maiorem Deorum Gloriam

Un coup de coeur du Carnet

Christopher GÉRARD, Le Songe d’Empédocle, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Contemporains », 341 p., 20 €

gerard_saenenEn une quinzaine d’années, à force de manier une plume de haut empennage, Christopher Gérard s’est imposé comme un écrivain atypique, rétif à tout conditionnement et étranger aux logiques du prêt-à-consommer littéraire. En témoignent les chroniques tirées au cordeau, les entretiens menés avec habileté et les portraits finement ciselés dont il nourrit les tablettes de son blog Archaion ; son incontournable Aux Armes de Bruxelles, état des lieux raffiné de ses déambulations dans une capitale qu’il arpente en insatiable esthète et dont il connaît par cœur la géographie de surface comme occulte ; ou encore ses romans, qui bien que situés dans une chronologie tout actuelle, se déroulent dans une temporalité parallèle, peuplée de vampires en fin de cycle, de druides ne maniant plus guère la serpe qu’au fin fond de leurs forêts intérieures, d’héritiers d’une tradition cachée, pratiquant des cultes dont le sommeil n’est qu’apparent. Continuer la lecture