Maxime HANCHIR
Auteur à la fois engagé et résolument indépendant, esprit aussi original que systématique, Paul Pourveur est une personnalité atypique qui a su tirer le meilleur parti de ses contradictions. Ni réellement francophone, ni tout à fait néerlandophone, celui qui à ses débuts trouvait le théâtre « ringard » est ainsi devenu l’un des dramaturges belges les plus estimés. Survivre à la fin des Grandes Histoires est l’occasion de redécouvrir un parcours complexe et exigeant avec pour fil d’Ariane la recherche de nouvelles narrativités.
Survivre à la fin des Grandes Histoires a été composé à partir de quatre conférences données dans le cadre de la Chaire de poétique de l’Université catholique de Louvain. Derrière un titre quelque peu emphatique (une référence à la « fin des grands récits » de Jean-François Lyotard), l’ouvrage se veut un « manuel de survie » dans un monde où la disparition des valeurs universelles peut conduire à une certaine perte de repères intellectuels et artistiques.
L’auteur choisit pour cette tâche la forme de la chronique. En quatre chapitres mêlant réflexions sociohistorique, théâtrale et anecdotes personnelles, Paul Pourveur explique comment les différentes problématiques rencontrées lors de son parcours de créateur (représenter le siège de Sarajevo, l’expérience du racisme, le traumatisme collectif causé par l’affaire Dutroux…) ont fait évoluer son approche narrative de la scène. Car pour le dramaturge, notre époque post-idéologique est devenue trop disparate et complexe pour pouvoir être exposée seulement sous l’angle déterministe de la dramaturgie classique. Dès ses débuts, il décide donc d’aborder chaque nouveau travail comme l’opportunité de partir à la recherche de nouvelles formes de narrativité. Et si elles sont parfois sinueuses (ou même vouées à l’échec), ses expériences finissent par porter leurs fruits. C’est ainsi que la découverte de la physique quantique dans les années quatre-vingt le mène à la « forme narrative fragmentaire », l’influence d’internet une décennie plus tard à la « pensée en réseau », puis l’intérêt pour les banques de données au XXIe siècle à la « dramaturgie nomadique ».
On l’aura compris, Paul Pourveur n’est pas un passéiste. Il s’agit du reste d’une opinion revendiquée (Shakespeare is dead get over it, intitule-t-il l’une de ses pièces en 2005, afin de marquer son désintérêt pour le théâtre de répertoire). La nostalgie n’est selon lui qu’un « préservatif contre le postmodernisme » et il explique voir avec un certain découragement l’avènement d’un théâtre de plateau dont les récits linéaires ne peuvent mener qu’à des formes de dramaturgie classiques, c’est-à-dire « despotiques ».
Certes, on n’adhèrera pas toujours aux opinions de l’auteur : son refus de tout positionnement dans l’œuvre, son obsession pour le postmodernisme peuvent quelquefois laisser perplexe. Il n’en reste pas moins que Survivre à la fin des Grandes Histoires, outre son intérêt biographique évident, est un document de valeur pour comprendre les défis auxquels fait face le théâtre contemporain.
Paul POURVEUR, Survivre à la fin des Grandes Histoires, Carnières, Lansman, 2015, 119 p., 15 €
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