Quand les rocs se fissurent

Séverine RADOUX

Greenville, c’est le nom d’un groupe de rock formé par des ados mal dans leur peau. La pièce retrace son histoire depuis ses débuts hésitants jusqu’à sa disparition, en passant par son succès fulgurant. Après avoir enchaîné une tournée mondiale de concerts, les musiciens reviennent dans leur village natal pour rendre hommage à leurs premiers fans dans un show gigantesque. Cependant, les éléments d’un drame se mettent peu à peu en place…

L’originalité de Greenville ne relève pas tant de l’histoire, qui est somme toute assez prévisible, que de la forme. Régis Duqué a en effet pris le parti de présenter sous forme de fragments les différents points de vue des rockers débutants et de leur entourage. On peut ainsi découvrir des jeunes qui se cherchent à travers la musique, qui tentent de trouver leur place dans le raz-de-marée du succès, qui se soutiennent et qui s’engueulent.

À travers une mosaïque de monologues entrecoupés de brefs dialogues, l’auteur nous livre une perception nuancée de la biographie du groupe, que chacun vit différemment. On peut ainsi découvrir, en plus des bribes de la vie des musiciens, le point de vue de spectateurs, de journalistes, d’un biographe, d’un sociologue du rock, etc. Les opinions se complètent, parfois se contredisent. Le dramaturge a l’intelligence de ne pas prendre parti pour un ou plusieurs des personnages, il laisse des zones d’ombre sur certains pans de l’histoire.

Greenville a été publié dans le catalogue de la Scène aux ados en 2013 et ce n’est guère étonnant. Son authenticité ne peut que toucher en plein cœur des ados (et adultes) avides de rêver et/ ou en quête de soi. Régis Duqué y traverse en effet les questions que l’homme se pose sur la vie, et ce, avec un humour touchant et un style rythmé (parfois haletant). Il lève le voile sur des légendes du rock pour montrer leurs questionnements, leurs espoirs, leurs faiblesses, qui contrastent avec les strass et paillettes du star system.

Greenville s’apprête à donner un concert devant plus de vingt mille personnes. Putain, tu es crevé, liquidé, les lits des hôtels sont trop mous, tu as mal au ventre, tu ne digères plus cette nourriture trop grasse qu’on te sert à longueur de journée, tu rêves des légumes du jardin de tes parents, d’une sieste sous un arbre, tu n’en peux plus de cette vie, jouer ton rôle, faire ce que l’on attend de toi, le bon élève, tous les jours, trimbalé, mets-toi ici, mets-toi là […] tu te rends compte de la chance que tu as, toute ta vie tu as rêvé de te retrouver là, à faire ce que tu aimes, alors ne te plains pas […] oui mais voilà […] tu n’appartiens à personne, tu n’en peux plus d’être toi, tu as envie de te tirer […]

Greenville a reçu le prix des Metteurs en Scène hors Belgique 2013-2014, destiné à encourager l’écriture dramatique en Belgique francophone.

Régis DUQUÉ, Greenville, Carnières, Lansman, 2015, 36 p., 10€