Christian LIBENS
Ces Propos éphémères sont ceux qu’Alain Dantinne vient de confier à quelques heureux – entendons les happy few amoureux de la belle ouvrage bibliophilique. Ainsi le dernier-né de Dantinne a-t-il été « Composé au plomb dans ce vieux romain corps 10 et tiré sur presse typographique à platine du siècle dernier, par un typographe non moins jeune… » Et l’éditeur (Arch’Libris à Charleville-Mézières) de préciser encore : « Tirage à 178 exemplaires numérotés augmenté de 22 exemplaires de chapelle », ce qui résonne déjà, aux oreilles de bibliophiles, comme un début de poème…
Mais laissons là notre nostalgique penchant pour l’objet-papier et précisons enfin que ces Propos éphémères sont un recueil d’aphorismes, genre qu’Alain Dantinne avait déjà pratiqué naguère pour l’excellentissime éditeur bordelais Finitude avec son Petit catéchisme à l’usage des désenchantés.
Désenchantés, ces nouveaux Propos ne le sont pas moins ; c’est bien sûr la loi d’un genre avec lequel on rit souvent pour ne pas pleurer, dans lequel on joue avec les mots pour ne pas jouer du révolver. Comme quoi la pratique de l’aphorisme est un salutaire exercice de sagesse ! Dantinne le définit joliment ainsi :
L’aphorisme est un petit caillou dans la chaussure de la pensée.
Citons-en quelques autres presque au hasard…
Il se sent sûr : il censure.
Carpe diem est un sophisme de noctambule.
On n’aime jamais deux fois de la même façon. Surtout si on souffre de sciatique.
Il se sent tellement vieux qu’il n’ose plus demander l’heure.
J’ai finalement réussi à faire mon trou dans la vie ! Il n’y a plus qu’à me mettre dedans.
Enfin, ce bel et bon objet serait bel et bien moins beau sans les dessins de Daniel Casanave. Citoyen de Rimbaudville, cet illustrateur, aussi doué que drôle, aime à fréquenter les écrivains, morts ou vifs, comme Franz Bartelt, Alain Bertrand, Christophe Mahy, Frédéric Chef et le grand Dhôtel. Ici, son trait, toujours piquant et pertinent, magnifie et aiguise encore les traits corrosifs de Dantinne. Ainsi leur irrésistible « Ingres est à la musique ce que Duchamp est à la plomberie », qui montre la Grande Odalisque allongée dans l’œuvre la plus sanitaire de Marcel… Et il y en a treize autres du même délire double, quelle chance !
Alain DANTINNE, Propos éphémères, illustrations de Daniel Casanave, Charleville-Mézières, Arch’Libris Éditions, 2015.