Des retrouvailles au goût amer

Jean-François Viot,  Au bord des lèvres, Marcinelle, Éditions du CEP, 2014, 131 p., 14€

Ellen vit avec son fils Billy, à Santa Cruz en Californie, dans une jolie maison bordant le Pacifique. La vie suit son paisible cours : tandis que Billy fréquente l’un des plus prestigieux collèges de la ville, Ellen vaque à ses occupations, entre son boulot, les courses, le ménage, l’éducation de son fils et ses soirées papote avec sa voisine Lisa. Tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’Ellen voie ses vieux démons ressurgir et que frappe à sa porte Chet, un ancien amant. L’homme est au plus mal. Il est toxicomane et ne possède plus rien. Sa carrière est dans une impasse. Plus personne ne veut le programmer. Ellen l’invite à s’installer chez elle quelques temps et tente de le faire décrocher. Petit à petit, leur passé commun refait surface. Comment se sont-ils rencontrés ? Pourquoi ne se sont-ils plus vus pendant dix-sept ans ? Vaincra-t-il son addiction ?

Pour écrire ce drame, Jean-François Viot s’est librement inspiré de la vie du célèbre jazzman américain, Chet Baker. Ce trompettiste fut mondialement connu autant pour sa musique que pour ses frasques et sa grande dépendance à la drogue. L’auteur lui invente une vieille idylle, une histoire d’amour qui s’est terminée dans les larmes et la douleur. Nous découvrons le côté sombre de Chet, celui qui, trop pris par sa musique et l’héroïne, a négligé bien des femmes et des enfants. Billy est-il son fils ? Jean-François Viot n’y répond pas tout à fait. L’auteur construit parfaitement son intrigue, pièce par pièce, au son des notes de My Funny Valentine. Les descriptions sont riches et précises. Rien n’est laissé au hasard.

Jean-François Viot parvient à nous plonger dans une atmosphère américaine, très cinématographique. On assiste à des retrouvailles dignes des plus belles pièces de Broadway, des retrouvailles qui emportent avec elles leur lot de souvenirs déchirants et de promesses jamais tenues. À l’évidence, une touche de Tennessee Williams se cache là-dessous. On plonge dans le quotidien d’une famille sans histoires où survient la figure d’un perdant, en proie à des frustrations et des excès causés par la société. La musique pourra-t-elle le sauver ou n’a-t-elle fait qu’accélérer sa chute ? La fin tragique de Chet Baker n’est pas niée dans la pièce et nous rappelle combien les vices sont pernicieux, le succès fragile et les chagrins d’amour ancrés.

Émilie GÄBELE