Nadja COHEN et Anne REVERSEAU (dir.), Petit musée d’histoire littéraire. 1900-1950, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 302 p., 20 €
Alexandre Vialatte se plaisait à utiliser le terme de « chosier » pour désigner ce rassemblement d’objets hétéroclites que leur aspect biscornu, leur utilité surannée, leur parfaite inactualité vouent à être expulsés de l’usage courant pour aussitôt entrer dans l’éternité de la poésie. Nadja Cohen et Anne Reverseau ont compris qu’il en allait des choses comme des mots, et qu’un musée n’était pas de trop pour rendre hommage à ces éléments de mobilier, attributs vestimentaires, moyens de locomotion et autres gadgets qui révolutionnèrent la « vie moderne » de jadis, plus particulièrement entre 1900 et 1950.
Mais se contenter d’agrémenter quelques photos de notices n’aurait abouti qu’à un catalogue au charme sépia, sans intérêt. La plus-value de l’ouvrage que nous proposent les directrices de la publication consiste à intégrer chaque objet dans une niche de l’histoire littéraire. Ainsi le vélo, le mouchoir, l’enseigne lumineuse, le bleu de travail, la bouteille de Perrier, le manuel scolaire ou encore les barbelés prennent-ils un relief inattendu, et passent sans transition de la 2-D dans laquelle ils sont reproduits à la dimension du mythe.
Le terme appelle naturellement le nom de Barthes, qui figure bel et bien parmi les parrains avoués en quatrième de couverture, avec Je me souviens de Perec et le Projet d’histoire littéraire d’Aragon. Évoluant donc dans un triangle sémiotico-oulipo-surréaliste, le lecteur ira de sentiment contrasté en surprenante découverte. Il comprendra mieux le rapport intime que certains écrivains ont noué avec tel produit (le tabac par exemple). Il sera dessillé face au prochain manège qui se dressera devant lui, puisque Jan Baetens lui aura expliqué que « la foire moderne est le décor d’un monde faux, puéril, dénaturé par la machine et l’exploitation vile du client-consommateur ». Il saura enfin dans quelle encyclopédie puiser s’il cherche des détails sur le maillot de Musidora, le platane ou les brouillons de cafés – car qui avait jamais pris la peine de traiter de ces sujets pourtant cruciaux ?
Ceux qui déploreront l’absence de reproductions en couleurs et, partant, l’occasion manquée d’avoir fait un « Beau livre », on les consolera en les persuadant qu’ils tiennent là un « Bon livre ». Car chaque notice de ce délicieux ouvrage nous prouve que, à condition d’être fondée sur la pure gratuité de l’acte d’apprendre et d’étancher notre curiosité en la ravivant à chaque fois, la didactique est synonyme de plaisir.
♦ Lire un extrait de Petit musée d’histoire littéraire proposé par Les Impressions nouvelles