« Mais de quoi parleras-tu? »

Un coup de coeur du Carnet

Kenny OZIER-LAFONTAINE, Billes, Bruxelles, maelström, 2015, 130 p., 13€

Cinéaste, dessinateur, jeune pataphysicien exilé en Belgique, le poète Kenny Ozier-Lafontaine, Paul Poule sur les réseaux sociaux, possède plusieurs voix, toutes remarquables. L’une court sur les pages paires des Billes que voici, une autre, en regard (et en italique), semble lui répondre, dans les échos d’un contrechant. De quoi parlent-elles? De l’oiseau, de la pierre, de l’arbre, de la neige, de leurs questionnements et de leurs savoirs, de leurs difficultés d’être et de leurs limites. Leur dialogue s’achèvera de manière chorale, dans un feu d’artifice où culminent l’angoisse, les miroirs, la fantaisie et ses couleurs. Le poète, « né cassé, avec un œil à la place du cœur », s’y étonne que « les nuages ont été déposés à l’envers dans le ciel pour ne pas tomber », que « le vent souffle pour éloigner les oiseaux, mais nous ignorons de quoi » ou encore qu’il faille « découdre la neige, avec les doigts, avec le ciel ».

La personnification des éléments va loin et ne gêne jamais le lecteur car elle est fluide et charrie toujours de nouvelles images poétiques. Dans le dernier poème de ce dense recueil, Kenny Ozier-Lafontaine s’autorise enfin le haïssable « je » pour nous dire qu’il ne parlera ni du monde, ni de soi. Et une voix de rétorquer « mais de quoi parleras-tu? ».

Il y a aussi, dans ce beau livre aux tonalités et aux visages multiples un personnage michaldien récurrent, sorte de Plume heureux, qui « avait décidé d’écrire un livre seulement destiné aux oiseaux, / et il s’était aperçu que les oiseaux ne savaient ni lire, ni écrire, / alors il avait plutôt écrit un livre pour apprendre à lire et écrire aux oiseaux, / maintenant le soir, entre eux, les oiseaux parlent / la langue des hommes ».

Artiste tout terrain, y compris cosmique, Ozier-Lafontaine n’en est pourtant qu’à son deuxième livre, qui succède au Fils de la nuit, présenté par Fernando Arrabal… Il jette ici, avec candeur et magie, ses billes comme ses mots dans un labyrinthe végétal et céleste où se perdre c’est gagner.

Karel LOGIST