Arnaud DELCORTE, Ô, Bruxelles, Maelström, coll. « maelstrÖm compAct », 2015, 8 €
J’ai entre les mains Ô, l’un des livres d’Arnaud Delcorte parus cette année. Voilà un ouvrage, tout petit par la taille et le nombre de lignes, mais extrêmement sensible et intelligent. Un ouvrage « simple » et « complexe » à la fois.
Le Japon pourrait être l’une de ses portes d’entrée. Qui ne serait d’ailleurs pas tenté de voir dans les minuscules poèmes de Delcorte des espèces d’haïkus ? Comment, d’ailleurs, ne pas y penser quand Delcorte évoque les « petites choses » ?
Fumées à l’évier et relents de bouillabaisse
Borborygmes avant le silence
Inquiet
Je t’observe du coin de l’oeil
Lave-vaisselle
Puis, il y a encore, ici et là, des références, le nom de Mishima, une citation d’Issa « en japonais dans le texte », le fait que deux des trois parties du livre ont été écrites « en apesanteur », quelque part, en avion, au-dessus des nuages, entre Tokyo et Munich, Frankfort et Osaka, etc.
Cependant, on aurait tort de réduire Ô à ces seules références japonaises.
Il y a d’autres pistes, plus conséquentes, pour entrer dans Ô. Il y a, par exemple, cette attention toute particulière à ce qui s’écoule. Le sable. Les eaux de l’océan. Les nuages. La lumière. Le but de Delcorte ? Certainement pas nous en donner un portrait réaliste ! Delcorte voudrait plutôt résolument planter ses poèmes dans le sable. Les tourner vers la terre. Leur mettre les deux pieds dans l’eau. Delcorte ne cherche peut-être que cela, dans le fond : nous faire sentir, à nous, lecteurs, toute l’exaltation qu’il y a à se frotter aux choses terrestres qui défient le temps. Tout le plaisir qu’il y a à se mettre à l’écoute de leurs langues immuables.
Aucune nostalgie là-dedans.
Aucun rejet du monde comme il va.
Non.
Simplement, pousser sur le devant de la scène une joie à portée de main. Un plaisir à laisser courir le regard. À le laisser se faire prendre par ce qui l’attire : la gravitation des barques sur la mer, les corps dénudés des bords de mer, le rayonnement solaire. Un plaisir à noter scrupuleusement les échos anémiés du fond de l’univers.
Ce que nous propose Delcorte ? Quelque chose de totalement enfantin : faire ici et maintenant avec la bouche un grand ô d’étonnement devant le monde. Des jambes épilées. Des lèvres qui tremblent. Un ciel lézardé d’azur. Effectuer, tout léger, un retour à la terre très nietzschéen en somme : avancer dans le monde avec
L’intelligence naturelle du caméléon
Pour vivre homme parmi les hommes
Saluer fraternellement le monde, quoi.
Et puis, il y a la langue encore. La façon dont Delcorte compose les diverses parties de son texte. La façon dont il agence les multiples touches de ces poèmes minuscules, de ces « poèmes-cellules ». Plaisir de se laisser aller à la dérive. De suivre les vagabondages, la manière dont une cellule donne naissance à une autre. Plaisir de voir ici comment un esprit fonctionne. Comment il associe. Saute d’une image à l’autre. Plaisir de perdre ainsi parfois le fil. Puis de le retrouver par surprise alors qu’on le croyait définitivement échappé.
Vincent THOLOMÉ