Un coup de coeur du Carnet
Marie COLOT, Dans de beaux draps, Bruxelles, Alice Éditions, 2015, 153 p., 12€/ePub : 8,49 €
Pour fêter ses 16 ans, Jade a reçu un billet d’avion afin de passer ses vacances avec Clem, sa meilleure amie partie vivre au Québec avec ses parents. Sur la route de l’aéroport, coincée dans les embouteillages, elle aperçoit dans une laverie la silhouette de Rodolphe, un demi-frère qui a débarqué dans sa vie il y a moins de deux ans et qui a tout chamboulé. Les souvenirs la submergent, elle nous emmène là où tout a commencé…
Jade vit dans une famille recomposée avec sa mère, son beau-père et ses 5 frères et sœurs issus de plusieurs mariages. Dans « cette maison de fous », elle éprouve des difficultés pour trouver sa place, surtout depuis que Clem est partie dans la Belle Province. En effet, ce n’est pas si facile que ça de s’aménager son petit lopin de bonheur entre sa mère débordée qui se trompe dans les prénoms de ses enfants quand elle est fatiguée, son beau-père qui fait des blagues pourries et qu’il ne faut pas déranger tant qu’il n’a pas bu l’apéro, sans oublier sa fratrie : Cyprien (surnommé Oui-Mais) qui a peur des petits pois et pleure dès qu’il n’obtient pas ce qu’il veut, Clarisse l’intello qui marche avec un livre dans la main, Victor le taciturne passionné par les Lego, enfin Aude et Élise qui se croient au-dessus de tout depuis qu’elles sont à l’université.
Nous deux [Clarisse et Jade], la première fois qu’on s’était vues, on s’était dévisagées comme un martien et un chat. Même si on vivait au même endroit, on ne venait pas de la même planète. Et j’étais soulagée de ne la subir qu’à temps partiel. Seul Oui-Mais et moi vivions non-stop à la maison. C’était d’ailleurs notre unique point commun. C’était triste, mais c’était comme ça : mes demi-frères et sœurs, je ne les portais pas dans mon cœur.
Lorsque Rodolphe débarque avec son regard pétillant, ses taches de rousseur et son physique de play-boy de 20 ans, Jade l’accepte bien volontiers. Difficile en effet de résister à ce jeune homme qui lui ébouriffe les cheveux et lui dit qu’elle est sa préférée. « J’avais enfin un allié dans cette maison, quelqu’un de cool qui se souciait de moi et qui me consacrait du temps. En plus, il était craquant : un vrai bonus ! Il ne fallait [pas] qu’il parte d’ici. Jamais. ». Jade en profite pour poster une photo de lui sur Facebook. Très vite, ses contacts prennent Rodolphe pour son amoureux, ce qu’elle ne dément pas, un peu émerveillée par sa popularité naissante sur le réseau social et à l’école.
Tout le monde aime les potins, surtout si ça concerne quelqu’un dont la vie n’a a priori aucun intérêt. Moi, j’étais plutôt passe-partout, ni transparente ni populaire, et j’avais provoqué la surprise générale. […] Il était presque trop tard pour reculer. D’ailleurs, je n’ai envisagé de revenir en arrière qu’un instant. Ce n’était qu’un mensonge pour ma bonne cause. J’avais besoin d’un petit remontant pour me remettre de ces semaines pénibles, sans mon amie. Et je n’étais pas assez débile pour me priver d’une heure de gloire. De toute façon, c’était les autres qui avaient pris trop vite les choses au sérieux.
Mais Jade est vite dépassée par ses mensonges, elle attire la jalousie de certains et doit faire face à des moqueries, des insultes, puis des menaces. Un groupe Facebook a même été créé : « Pas besoin d’avoir 20 ans pour se faire la petite Jade ». Elle essaye tant bien que mal d’esquiver les mesquineries des autres, jusqu’au jour où tout dérape, ce fameux soir où sa vie bascule…
Marie Colot a déjà écrit plusieurs livres pour la jeunesse, mais Dans de beaux draps est le premier pour la tranche d’âge des adolescents. Un pari réussi car elle nous offre un roman non dénué d’humour, qui sonne juste et qui traite d’un problème inquiétant sur lequel les auteurs jeunesse ont très peu écrit jusqu’à présent : les dérives des réseaux sociaux et le problème du cyber-harcèlement. Il n’est pas toujours facile pour les adultes de comprendre l’importance que les jeunes accordent aux réseaux sociaux et l’inconscience des ados par rapport aux conséquences de leurs actes.
Ce jour-là, j’avais pas mal de boulot avec vingt-sept notifications en attente. Je les ai fait défiler sur mon smartphone. Éric répétait que, dès que ma mère me l’avait offert, la peau de mon index avait perdu quelques millimètres et mon cerveau plusieurs neurones. Mon beau-père n’y comprenait décidément rien. Et il n’avait pas assez d’amis pour se créer un compte. Les miens avaient déjà réagi à mon statut : j’avais dix-neuf mentions « J’aime » et huit commentaires qui réclamaient, avec des points d’interrogation à la chaîne, que j’en dévoile un peu plus.
L’auteure, à travers cette histoire particulière, nous montre les proportions insoupçonnées que peut prendre un mensonge a priori anodin, mais ce dernier détail est sans compter sur la rapidité et le potentiel d’exagération des réseaux sociaux. Pour traiter ce sujet, Marie Colot a l’intelligence de ne pas tomber dans le voyeurisme ou la moralisation. Elle décrit tout en pudeur l’engrenage dans lequel Jade s’est engouffrée et son étonnement à chaque fois que les événements prennent des proportions plus grandes. Le roman est parsemé de statuts Facebook avec les smileys, le ton et l’écriture phonétique typique des ados. Un bon moyen d’accrocher ceux-ci à la lecture de l’histoire et un bon point de départ pour les enseignants et parents qui voudraient aborder ce délicat sujet avec les jeunes.
Séverine RADOUX