« Écrire, c’était partir à l’aventure »

Daniel FANO, La Contrepartie, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2015, 140 p., 20,90€

« Lester Godard n’était ni un dandy de droite, ni un esthète virtuose de gauche, ni un idiot utile ni un révolutionnaire clandestin, pas davantage un moraliste funèbre ou un Robinson mélancolique, c’était un franc-tireur, un non-aligné absolu. » Godard est surtout un écrivain à succès, ayant connu une inexpliquée (mais explicable) mise au placard éditoriale de dix-sept ans et partageant un appartement avec sa vieille chatte, Mademoiselle Chanel. Revenu sur le devant de la scène grâce à ses publications provoc’ (telles que Chronique de la béatification d’Adolf Hitler), ce lecteur assidu de la chronique « Disparitions » du Monde et amateur de vinyles porte un regard désabusé sur ses contemporains (souvent source de perles philosophiques et langagières qu’il recycle dans ses romans).

Godard, sensible à la bêtise bourgeoise et lucide quant au jeu des médias, ne raffole guère des moments de promotion et des rencontres avec le public :

Un pouce levé, un pouce baissé : voilà à quoi se réduit la culture de nos contemporains, les citoyens consommateurs. Ils ne veulent plus entendre que le sida est tuant, que le racisme est tout ce qu’il y a de plus multiculturel, que la paix n’est que la poursuite de la guerre autrement. Ils veulent être libres de dire que les petits pois sont trop ronds, trop moches, trop bêtes.

C’est pourtant l’une des étapes du jour : sapé d’un costume bleu marine, ployant sous une déception anticipée et muni de répliques toutes faites, Godard se rend à la librairie Tome Trois, après une interview interrompue avec un journaliste et la visite d’un ami proche, Didier. Lui qui envisage la lecture et l’écriture comme des prises de risque là où son lectorat n’y voit qu’une manière de se rassurer, parviendra-t-il à donner le change ?

La Contrepartie est un roman tissé autour de la journée folle de Godard qui, au volant de sa Ford Mustang (et armé de son Beretta), se précipite vers l’avenir tout en revisitant le passé. La fiction et la mise en abîme se révèlent les fils conducteurs de cette fuite en avant, ponctuée de flash-back et de révélations, et (hélas ?) ralentie par des listes de références livresques, musicales et autres. Pour Godard, « [é]crire, c’était partir à l’aventure, c’était plonger dans l’inconnu, se mettre en danger, payer le prix fort, passer de l’autre côté ». Un constat qui peut être appliqué sans mal à cette lecture…

Samia HAMMAMI