Tribulations amoureuses d’une femme sans chichis

Anne GRAUWELS, Une année douce, Ixelles, M. E. O., 2016, 147 p., 15€/ePub : 8,99 €

grauwelsLa narratrice, une Judéo-Flamande dont l’âge est indéterminé, rencontre un écrivain francophone qui lui propose de coécrire un livre sur la Belgique. D’entrée de jeu, on comprend que la vie de cette jeune femme n’est pas simple.

 Il m’a déjà demandé si j’avais des enfants. Pour les enfants, c’est clair, la réponse est non, mais pour l’homme, c’est plus compliqué. Lui dire que je suis sans homme me semble un peu court, ma vie sentimentale est, disons, en suspens. Et si je lui retournais la question ? La première fois que je l’ai rencontré, il était accompagné d’une jeune femme qui aurait pu être sa fille, mais qui, de toute évidence, ne l’était pas.

De fait, Anne nous retrace le récit de cette année douce-amère qu’elle vient de vivre et nous emmène dans ses aventures amoureuses bancales : entre un ancien amant avec qui elle vient de renouer, une nouvelle collaboration avec un écrivain ambigu, les flashbacks de certains épisodes de son ancienne analyse et les conversations avec son nouveau psy (respectivement appelés « l’Amant », « l’Écrivain », « l’Analyste » et « le Psy sans chichis »), il n’y a pas de quoi s’ennuyer. Sans compter que la protagoniste passe d’un sujet à l’autre sans transition, en ponctuant son récit de commentaires sur l’actualité (l’histoire se déroule à Bruxelles en 2012), avec un humour dont seuls les Belges ont le secret.

 À la radio, j’entends notre Premier ministre s’époumoner en néerlandais. Ah, il n’est vraiment pas doué, le pauvre, mais courageux, ça oui : répondre en direct en flamand, chapeau ! J’attends le Eueueuh…, le grand blanc, à la recherche du bon mot dans cette langue étrangère. J’en ai des sueurs froides à sa place. Mais non, il s’en tire. Il a un truc, chaque fois qu’il ne trouve pas le mot adéquat, il se rabat sur le mot en français en le « flamandisant ». 

La franchise et la légèreté avec lesquelles l’héroïne nous raconte sans fard les difficultés de sa vie affective la rendent attachante. Ainsi, à chaque fois que son amie Lieve lui demande de téléphoner au psy de sa fille pour savoir s’il est chez lui (sic !), Anne est toujours prête à l’aider :

– Aaal-lo ? Je dis d’une voix qui se veut assurée.

– Ja, allo met Matthias, dit-il comme la fois dernière.

– Monsieur André Labarre ? je réponds en français, puisque je suis en France, niant par là complètement l’énoncé « Matthias » et la langue de mon interlocuteur. Faut bien se forger un personnage.

– Nnnon, hésite-t-il, également en français.

– Ah, excusez-moi, ce doit être une erreur.

Ce n’est pas parce qu’on joue la comédie qu’il ne faut pas rester poli.

Deux petites frustrations par rapport à ce roman : les personnages qui gravitent autour de la narratrice sont décrits à gros traits, frôlant parfois le cliché. L’identité de « Flamande parmi les francophones, [de] Juive parmi les Belges » d’Anne aurait également pu être étoffée afin de lui donner plus d’épaisseur, d’autant plus que sa collaboration avec un francophone aux idées différentes des siennes aurait pu augmenter la tension dramatique.

Séverine RADOUX