Philippe LEKEUCHE, L’éclat noir du désir. Poèmes 1988-1998, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2015, 250 p., 20 €
Sous le beau titre L’éclat noir du désir, qui ressemble à sa poésie même, tissée de lumière et de nuit, d’ardeur et de désespérance, d’appels vibrants et de silence, Philippe Lekeuche nous livre une nouvelle édition, revue et corrigée, de trois recueils parus en l’espace de dix ans : Si je vis (1988), Celui de rien (1993), L’état rebelle (1998). Trois titres qui composaient une trilogie, dans la bien nommée collection Feux, créée par Liliane Wouters aux éditions Les Éperonniers.
Dès le premier, dédié à Madeleine Gevers, dont Philippe Lekeuche confiait récemment qu’elle avait éclairé ses premiers pas d’adolescent en poésie et qu’elle resta des années vigilante à ses côtés, lui apprenant la juste et subtile distance avec ses écrits sans laquelle on ne peut en prendre la mesure, nous reconnaissons le « passant de flamme » qu’il n’a cessé d’être.
Celui que la vive lumière d’un été radieux déchire, et qui se sent « presque triste à mourir dans la gloire du jour / et joyeux cependant dans le lointain moi-même ».
Ou qui, lorsque « les grands bateaux s’enfoncent dans l’adieu », demeure face à la mer, plongé dans « la sidération de l’absence », mais « l’âme en éveil, juchée à la pointe ultime de l’attente ».
La « mauve Mélancolie » hante Celui de rien, sous plusieurs formes et nuances.
Parfois, le désenchantement mord le cœur devant les mots qui « volent si légers, / Indemnes de nous », ignorant nos blessures, nos amertumes, nos désarrois. Et pourtant, « Ce qui n’est pas écrit n’existe pas. »
Toujours, secrètement, bat la présence de la mort, « sœur de l’amour. À deux elles font la vie. »
L’amour dans ses éclairs, ses angoisses, ses joies sauvages, ses chagrins murmurés, ses accords fulgurants, ses déserts… L’amour qui nous ouvre à tous les espoirs, touche à l’impossible. Qu’importe : « Hors l’amour, exister est désastre ».
Est-ce une impression ? Le ton se fait plus âpre dans le troisième recueil, L’état rebelle.
Ici résonnent les exhortations d’un rebelle enflammé :
Je suis en colère, mon Dieu, vous ne me changerez pas […] J’en ai assez de la foi, de l’espérance et de la charité […] L’Eternité m’ennuie s’il n’y a plus de chair, d’ennui, de jouissance, de malheur, de haine, de passion, de folie, de temps, de lutte, de devenir.
Là, le silence et la solitude cernent le capitaine immobile sur le pont de son bateau, oublié du monde, dont la devise pourrait être : résister. Impavide, il scrute l’horizon, se tient prêt si survient l’improbable. « Ce que le capitaine cherche inlassablement jour après jour, ce n’est pas une vision, une image. C’est une parole qui le ferait vivre, naître à lui-même. »
Ne rêvons pas d’ailleurs grisants : « Jamais ici nulle part / N’arrive le temps du départ ».
Ne nous berçons pas de romances, de douceurs trompeuses. « Et voici, violent, le poème / Ainsi marche la Poésie, à l’arraché ».
Francine GHYSEN