Les cartouches d’un anarchiste respectueux

Ghislain COTTON, Ainsi râlait Zara Fouchtra, Murmure des soirs, 82 p., 10 €

Quand arrive leur crépuscule, les idoles ont deux solutions : soit elles se retirent en un Walhalla qui commence à sentir le roussi, pour y agoniser loin des regards et boire jusqu’à lie la coupe amère du déclin ; soit elles ébrouent une dernière fois leur majesté et descendent de la montagne parmi les hommes afin de livrer, façon  prophète, une nouvelle vérité.

Il semble que le « transexuel et apatride » Zara Fouchtra pencha pour cette deuxième option. Voici qu’il nous apparaît, pétri de contradictions assumées, vivant oxymore, ambulante ambivalence, à travers les propos rapportés par son fidèle apôtre, Ghislain Cotton.

Pas question de tables de la loi, mais bien de cartouches (au masculin, s’il vous plaît) d’anarchie douce-amère, où le constat sans appel le dispute au mot d’esprit, et où le calembour prend souvent un malin plaisir à court-circuiter le sérieux de la sentence. Il y a certes une tradition belge à se jouer ainsi des sons et du sens dans les formes brèves, à la croisée de l’héritage surréaliste (difficile parfois de ne pas penser à Louis Scutenaire) et de l’ensauvagement linguistique à la Jean-Pierre Verheggen. Ghislain Cotton trace, à ces fleuves confluents, une dérivation supplémentaire sur laquelle se pose le quotidien de son regard. Car cette suite de phrases au discours indirect n’est pas seulement prétexte à ludisme verbal. Il y est question de la Vie, de la Mort, de l’Amour et du Temps, mais aussi de la Communauté européenne, de Daesh, du Coca-Cola, du making of des films, d’Internet et de la technologie… Autant de sujets à râleries que d’autres moralistes mépriseraient parce qu’ils relèvent de l’actualité, pas de l’Histoire.

C’est que Zara Fouchtra a élevé au rang de sagesse l’aptitude intellectuelle à ne pas être dupe, ni de son temps ni de ses contemporains. Selon lui, « la culture n’est pas là pour habiller, mais pour mettre à nu ».  Et donc, dénudons… S’il évoque le GPS, c’est pour regretter que cet instrument ait « tué les petits miracles de l’égarement ». Il prend soin de ne parler de l’hypocrite chasse aux fumeurs que la clope au bec, se gausse de la téléréalité qu’il taxe de nouvelle « pétomanie » publique, et souligne l’importance de distinguer « massacre » et « génocide » pour leur entrée au Guinness Book. Zara Fouchtra use du langage comme d’une arme de poing à balancer dans la tronche de la bêtise ordinaire. Chaque terme « unique et banal » qu’il revisite se régénère au contact de son air de soupçon.

Ghislain Cotton était déjà nouvelliste, romancier et critique littéraire. Le voilà qui trempe sa plume narquoise dans l’encrier de l’aphoriste. Un mot qui rime avec « triste », malgré les éclats de sourire qui émaillent ses pages. Mais Zara Fouchtra ne disait-il pas que « désespérer le monde lui paraissait une base propice pour inventer l’espoir » ?