Regarder notre société démocratique avec les yeux d’un migrant

Un coup de coeur du Carnet

Luc FIVET, Marche ou rêve, Le Ver à Soie, 2015, 222 p., 18 €

fivet.jpgLe contexte social actuel est difficile à vivre. Entre crise migratoire et terrorisme, les repères se perdent dans une obscurité qui nous absorbe bien malgré nous. Marche ou rêve de Luc Fivet s’inscrit dans cette actualité et se pose en éclaireur.

Loin de l’essai, l’auteur offre un récit fictif qui nous fait emprunter un chemin alternatif avec un regard neuf. Nous l’observons à travers les yeux de ces Autres, venus d’ailleurs, qui débarquent sur nos territoires.

Ces Autres, ce sont Abdoulaye et son ami Boubacar. Nés au Sénégal, pays misérable qu’ils n’ont pas choisi et dans lequel ils ont peu d’avenir, ils risqueront leur vie pour atteindre la France, le prétendu berceau des droits de l’homme. Non considérés comme tel, faute de papiers, la vraie odyssée des personnages, en quête de liberté, d’identité et de dignité, commence là. Dans une nation où la démocratie n’est qu’une façade étatique éloignée des attentes. Au sein d’une civilisation dans laquelle se croisent discrimination, haine, malhonnêteté, vénalité et peu de solidarité. À l’intérieur d’une société dont le système social trop complexe s’apparente à une spirale infernale sans issue où l’injustice, l’impuissance puis le désespoir triomphent. Chaque journée devient un combat pour la vie et contre le système établi.

À la manière d’une autobiographie, Abdoulaye nous livre, en ami, les doutes, espoirs, joies, colères qui l’ont accompagné durant sa marche vers son rêve d’une vie meilleure. Il a noirci les pages de son histoire avec des mots bien à lui, enchaînant les phrases simples mais profondes, qui font sourire tout en amenant la désolation. Le texte, rythmé entre descriptions, états d’âme et dialogues, va droit au but. Les innombrables expressions françaises déformées donnent lieu à des jeux de mots significatifs et rappellent les origines du narrateur. Le texte se colore d’une musicalité africaine qui résonne dans nos têtes. Abdou apparaît d’autant plus proche et touchant. Nous nous  y attachons. Nous vivons son histoire à travers lui.

Cest comme si les toubabs sapercevaient que le brave moricaud croisé tous les matins au bas de limmeuble, une poubelle à la main, n’était pas un fainéant, un profiteur ou un délinquant au stade terminal, mais un homme qui faisait fonctionner le système avec ses deux mains et ses yeux baissés, comme eux. 

La dure réalité décrite, basée sur des situations authentiques, rappelle les fléaux qu’Ascanio Celestini dénonçait métaphoriquement et cyniquement dans son Discours à la Nation.

En nous faisant redécouvrir l’Europe via les yeux d’un migrant, Luc Fivet donne une illustration plus que réaliste des aberrations de notre société moderne. Il y a matière à réflexion. Et c’est à cette plus-value que nous reconnaissons un bon roman.

Mélissa RIGOT