Décès de Chantal Myttenaere

Chantal Myttnaereok

(c) Bela

 

 

La romancière, nouvelliste, scénariste et cinéaste Chantal Myttenaere est décédée ce samedi 25 juin des suites d’un cancer. 

En 2010, elle publiait Ce n’était rien, c’est devenu tout ! Voyage au pays du cancer aux éditions de l’Hèbe. Un livre où elle évoquait, déjà, sa maladie. Voici ce qu’en disait Jeannine Paque, dans Le Carnet et les Instants n° 164 :

Le livre de vie

N’est-ce pas ainsi qu’on appelait à l’école maternelle le grand cahier où l’on notait les faits quotidiens, petits et grands, la couleur du jour, les activités, les événements, les fêtes et parfois les malheurs ?
Il y a quelque chose de l’enfance dans le mot et la pratique du cahier, une manière de concilier le devoir et la poésie, pour certains. Pour Chantal Myttenaere, écrire dans un cahier et finalement en faire un livre – Ce n’était rien, c’est devenu tout ! Voyage au pays du cancer – c’est, forte, vitale, sa manière à elle de se battre contre la terrible maladie. C’est aussi sa victoire.
Pas d’illusion, nul recours au mysticisme pour croire en elle et admettre qu’en s’appropriant le et bientôt les cancers qui la frappaient, avec lucidité et ce qu’elle appelle sa « recherche insatiable de compréhension », elle allait, sinon vaincre la maladie, du moins parvenir à la dominer.
« Je me sens forte en vie, j’ai du combat plein les mains et une volonté de fer », écrit-elle, déjà en connaissance de cause, alors qu’elle n’est qu’au début de ses épreuves. Elle ne lâchera jamais et, de questionnement en acceptations ou révoltes, elle notera tout, fera de chaque jour le reportage. Lorsqu’enfin elle rédigera les dernière pages de ce récit écrit dans l’urgence, elle constatera que sa lutte, « la recherche de [sa] vie »  est bouclée et elle n’aura qu’un mot pour célébrer cet instant : « debout ! ».
Comment parler de son cancer et même de ses cancers alors qu’on est en plein combat ? Peut-on témoigner de cette expérience sans larmes, sans pathos ? En communiquer le secret aux autres sans susciter l’effroi ou, pire, l’apitoiement ? Oui. Myttenaere en fait la démonstration. D’abord parce qu’elle est une battante et possède tous les atouts pour devenir une combattante. Et pour raconter les phases de son combat, car elle est à la fois scientifique et créatrice. Aussi allie-t-elle la justesse du vécu relayé en direct à l’incandescence de l’art. En écrivant dans ce cahier, elle s’est comportée en reporter de guerre, ce qui implique le courage de s’exposer, mais aussi le talent. Nous allons donc recevoir le choc du témoignage, mais aussi apprécier l’étonnante performance d’un récit hors d’haleine.
Il faut préciser que ce voyage au pays du cancer, Chantal ne l’a pas accompli tout à fait en solitaire. Certes elle a été seule à affronter les entrevues, les examens, les chimios, les attentes, les résultats, les espoirs et les pertes d’espoir, mais elle en a tant dit que tous et toutes les ont partagés en lui témoignant un soutien : ceux-là qu’elle appellera en bloc et en détail sa « barrière de corail ». Le récit de sa terrible expérience, nourri au jour le jour des notes de son cahier, s’accroche aussi à ces témoignages de solidarité, d’amitié, d’amour, à ces messages en tous genres qu’elle retranscrit et dont elle démontre l’efficacité, l’énergie régénérante. Tout cela se retrouve à fleur de texte, un texte qui s’articule selon les phases très précisément définies de l’évolution clinique et thérapeutique, mais qui s’illumine aussi régulièrement de ces signaux complices qui donnent au texte un second souffle comme ils l’ont communiqué à la narratrice elle-même. On se trouve devant une coïncidence idéale entre la lettre et le message d’humanité dont l’énonciation inclut en soi la démonstration. Quant aux qualités littéraires de ce récit de voyage, vivant, spontané, mais aussi bourré de trouvailles, elles sont évidentes et rappellent les traits familiers d’autres écrits de l’auteure : le jeu délibéré et distancié avec les termes scientifiques, l’antipédanterie, la légèreté dans le grave, le rire à travers l’effroi, la familiarité voulue avec le cancer même, l’humour grinçant, féroce, mais jamais noir… En osant appeler « boutique », l’hôpital maudit, Chantal Myttenaere a désacralisé, secoué violemment l’institution médicale, mais aussi la littérature, boutique d’un autre genre.

 

Quelques-unes des oeuvres de Chantal Myttenaere : 

1988 L’ancre de Chine
1992 Femmes écrivains et l’éducation
1997 La vie désertée
1990 Traces de vie
1998 Les neufs tours de Fifine
1992 Prélude
1992 Le voleur de fenêtres
2000 Sa majesté la divine
2001 Le voyage en cargo
1993 Hélène
1996 Les intentions de Bernard
1997 La trisomie du silence
2003 Sans état d’âme
2003 Assise
2009 Sacré sac plastique
2008 Je me sens écrire