Thierry WERTS, For intérieur : Haïbuns, préface de Werner LAMBERSY , illustrations d’Alexia CALVET, Paris, Pippa, 2016, 15€
Le recueil de Thierry Werts qui paraît aux éditions Pippa se lit comme un carnet d’impressions de voyages. Ou plutôt, comme les éclats d’une mémoire vagabonde en prise directe avec un monde qui tourne certes mais qui ne va pas pour autant très bien. Et ce monde, l’auteur le connaît assurément, dans ses travers et ses failles puisqu’il poursuit, depuis plus de vingt ans, une carrière de procureur en Belgique dans des matières aussi difficiles que les homicides ou la protection de la jeunesse. Comme l’écrit Werner Lambersy dans sa préface, l’auteur va à l’essentiel et touche juste. Le porte-parole du Parquet fédéral laisse ici sa robe de magistrat pour enfiler la pelisse du poète-photographe, témoin des détresses et des souffrances de ceux auxquels il a pu être confronté. On sait l’importance du choix de la forme dans la construction d’un recueil. Celui qu’opère Thierry Werts n’aurait pu être plus judicieux.
Conçu à partir de la forme orientale du Haïbun, célébré entre autres par le poète Basho, qui mêle prose poétique et haïku, le recueil se fait l’écho des réprouvés, de ceux que l’Histoire a tendance à oublier. De Kandahar à Kinshasa, de Tunis au Sud Liban, l’auteur, entre deux missions en Afrique ou au Moyen-Orient, fait toujours le plein à Bruxelles, au Sablon ou dans la rue aux Laines. Mais se repose-t-il vraiment ? Les récents événements qui ont secoué la capitale, évoqués ici au même titre que d’autres, sobrement, ne lui en laissent pas le temps. Le constat est éprouvant comme en Afghanistan :
Peu à peu
Je m’apprivoise à l’odeur de la guerre
On pourrait presque voir la prose de Thierry Werts comme les instantanés d’un reporter de guerre. Des témoignages comme autant de séquelles de vies soufflées, absurdement perdues. Des vies brisées que la férocité de l’intolérance, de la haine ou de la bêtise a fait basculer.
Sa vie en trois pages
« père démembré mère violée
survie dans la forêt »
Il n’entend plus
Que des bribes
« enfant-soldat viols meurtre »
Soudain il explose hurle vocifère
Le visage déformé
Il est plaqué au sol
emmené
J’ai gagné ?
Un hiver sans fin
La juge écarte une larme
Entre deux destins
On le voit, sous la plume de l’auteur, les mots sont durs, les descriptions brutes et sans ambiguïtés. Et c’est sans doute là que réside la force de l’écriture de Thierry Werts, dans l’économie de la langue poétique où quelques lignes suffisent à planter le décor. Le haïku, en italique, qui ponctue chaque fragment ouvre lui vers un peu d’espoir.
Un premier recueil fort, personnel qui répond à une nécessité, celle de dire la vérité rien que la vérité face à ces vies isolées, cachées sous les toits de tôle, mais que l’on découvre en son « for intérieur ».
Rony DEMAESENEER