Un coup de coeur du Carnet
Michaël LAMBERT, Mad, Esneux, Murmure des soirs, 2016, 281 p., 19€
Lorsque Madeleine, surnommée Mad, obtient ce qu’elle a toujours voulu, à savoir vendre une cinquantaine de ses toiles lors d’un vernissage, elle suffoque et décide de sortir de cette galerie de paysages gris. Une décision s’impose à elle : prendre un nouveau départ à 53 ans. Sans plus attendre, elle rompt avec son agent et achète une maison à la campagne.
Peu importe la petite taille d’une maison, la vétusté de ses fenêtres, de ses portes, Mad l’a choisie parce qu’elle a quatre murs pour la contenir, la soustraire au monde, parce qu’elle est à l’écart, à l’abri des regards, invisible depuis la route qui quitte un minuscule village de province […]. Dès le départ de l’agent immobilier […], elle s’est empressée d’enlever le panneau « à vendre ». Que plus rien ne signale la présence. Pour protéger sa retraite.
Loin des foules citadines, Mad se retrouve seule face à elle-même, tel un animal effarouché par ses propres peurs, sa tristesse et la violence qui gronde en elle. Incapable de réaliser le moindre dessin depuis un moment qui n’a jamais été si long, elle part à la découverte de la forêt, les sens en éveil (« C’est la nature qui rappelle à Mad qu’elle est toujours en vie. Les oiseaux qui se font entendre même quand ses fenêtres sont fermées »). Une brèche s’ouvre : elle sent monter le désir de créer son propre potager. Mais elle déchante vite, c’est qu’elle ne possède pas les outils et les connaissances appropriés en la matière.
Après avoir tenté de demander de l’aide à un fermier voisin et avoir essuyé un accueil plutôt froid, elle se met en tête d’apprendre tout par elle-même pour ne plus dépendre de personne. Elle est donc contrariée quand Jean, un autre fermier voisin, lui apporte des bûches pour se chauffer et lui construit une clôture pour son potager, sans rien lui demander. Pourtant, un lien va se tisser peu à peu dans les silences de ces deux êtres blessés. En observant le travail de Jean avec les bêtes, Mad découvre un homme caractérisé par un « lien fort avec la vie ». S’étant fixé son propre code de bonnes conduites et d’un tempérament taciturne (parler l’épuise), Jean est difficile à apprivoiser, mais Mad persévère car ses gestes simples trahissent sa bonté, mais aussi sa tristesse.
Peu à peu, la jeune femme retrouve le désir de créer, pour dessiner la beauté cachée des animaux de la ferme. Elle entame une série de peintures murales car « ici, peindre a du sens » et on assiste alors à un beau spectacle : le lien tissé entre Mad et Jean va les rendre petit à petit capables de recommencer leur vie, avec toutes les hésitations et les ajustements que ce genre de processus implique. D’un côté, Jean fait ressortir la force en Mad ; de l’autre, la jeune femme transforme l’environnement du fermier et le rend vivant.
Mad réalise qu’il a peur. Peur de l’image qu’il donne de lui. Peur de ce qu’il est devenu. Peur de sa propre personne […] Si Jean est effrayé par l’animal qui est en lui, Mad refuse de céder, de craindre à son tour le jugement d’autrui […] [D]ans son regard, Mad voit qu’elle l’intrigue autant qu’elle l’inquiète.
Mad est le premier roman de Michaël Lambert, mais on sent que l’auteur n’en est pas à ses débuts en matière d’écriture. Son récit est un pari réussi car il nous offre une histoire dont la structure narrative est bien construite, avec des personnages finement caractérisés. Son style fluide et clair nous fait plonger facilement dans l’univers de Mad et Jean : tantôt composé de phrases juxtaposées, il met en évidence sans artifice la réalité brute, la rendant de facto plus vivante ; tantôt il parsème son récit de métaphores qui revivifient un quotidien dont nous ne voyons parfois plus la beauté et qui restituent une certaine noblesse aux métiers de la terre.
Jean rentre. Mad le rejoint pour la traite du soir. Elle s’assied à ses côtés, suit ses gestes. Il enseigne son savoir en silence. Toucher. Le pis chaud d’une vache. Le lait qui gicle. Elle se sent maladroite comme si elle essayait de maîtriser des crayons vivants. La machine à traire l’impressionne. Elle a peur de blesser les bêtes. Puis, elle se rend compte de leur force, des litres de lait qu’elles donnent. Elle est en sueur. Il range. Elle continue à l’aider. Nettoyer. Elle mesure l’exigence de son métier.
Au fur et à mesure de la lecture, l’auteur nous insuffle son amour profond pour la nature. Il nous ramène à la terre, à nos racines et nous interroge sur notre volonté ou non de participer à son équilibre.
Mad, une ode à la nature et à la vie. En toute simplicité.
Séverine RADOUX