Le chant profond du poète

Liliane WOUTERS, Trois visages de l’écrit, Bruxelles, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2016, 224 p., 12 €

woutersTrois visages de l’écrit. Trois recueils poétiques de feu et de méditation, où Liliane Wouters accomplit cette « descente à travers soi » par laquelle seulement on peut s’atteindre au plus profond, au plus intime. Au plus près de sa vérité.

Journal du scribe (1990), Le billet de Pascal (2000), Le livre du soufi (2009), ainsi réunis, se révèlent proches dans leur singularité, se prolongent, se répondent. Et nous pouvons glisser d’une inflexion à l’autre, vibrer à telle pensée, laisser résonner telle image, telle musique d’un chant profond qui se grave en nous.

Écoutons la voix du scribe, particulièrement cher à l’auteur. Parce que, disait-elle à Yves Namur au cours d’une conversation reprise à la suite des trois recueils : « Tout est déjà en lui, comme nos poèmes sont en nous avant que nous les écrivions. ».

« Il faut savoir / tout perdre, même soi / même le souvenir de soi. Il faut / quitter le lieu, sortir du temps, / jeter le vêtement précaire » « Non, le présent n’existe pas. / C’est seulement un mur qui nous traverse / jusqu’à l’instant où c’est nous qui le traversons ».

Rejoignons Pascal « en son heure ardente », cette bouleversante illumination décrite sur un billet qu’il garda toujours, et dont Liliane Wouters reconnaît la fulgurance en « ces uniques instants où je sortis de moi ».

Elle parcourt ensuite les saisons de sa vie, depuis la première enfance (« Furieusement je prends le goût de vivre, / celui de respirer et de me battre ») ; les années de jeunesse au pensionnat (« Petites oies en uniforme triste, / petits Saint-Just, férocement idéalistes […] nous étions jeunes à mourir et nous croyions / l’être toujours. Sans deviner que l’âge / nous presserait de son dur aiguillon. »).

Évoque l’Ange Ultime qui ne l’a jamais quittée, même quand elle l’a renié, et qu’elle espère à ses côtés, l’heure venue : « Peut-être, quand je m’en irai, / reviendra-t-il une dernière fois / s’asseoir auprès de moi / pour me dire ‘Allons, prends courage’ / et me souffler mon nom secret / me dévoiler mon vrai visage / me dire qui j’étais. ».

Et que nous dit le soufi sans nom ?

Il exalte la présence au creux de l’absence, l’intimité malgré la distance. « Dans bien des yeux j’ai pu voir se lever / Le jour, comme on peut voir monter un astre. / Mais dans les tiens je lis toute une vie : / Deux figues de douleur avec leurs grains / De plus en plus serrés. »

Il aspire à n’exister que pour la déchirante beauté. « Mais dans le cours des longues traversées / Où nous saisit l’engrenage des jours, / La routine des tâches, les corvées, / Nous te perdons si souvent sans recours. / Puis une nuit où rien ne l’annonçait / Tu brilles tout à coup comme une étoile morte / Dont la lumière enfin nous parviendrait. »

Chante la geste des soufis : « Danses, palabres, oraisons, / La folie avec la raison. »

S’interroge sur l’au-delà de nos jours. « Mourir n’est après tout qu’abandonner la place / En y laissant ces biens auxquels nous tenons tant. / Délivrés de leur poids, de leur valeur fugace, / Serons-nous libérés de l’espace et du temps ? »

Mais croit que l’amour l’emporte sur la mort : « Sois attentive, tu me sentiras / Dans chaque goutte d’eau, / Dans le moindre rai de lumière, / Dans le vent qui caressera / Ton front, sois attentive, / Je serai là, toujours, tu le sauras. ».

Dans son éclairante postface, Yves Namur analyse les trois recueils, retraverse toute l’œuvre poétique, et conclut : «  Les livres de Liliane Wouters sont en réalité de grandes confessions à ciel ouvert où, avec pudeur, le poète nous entraîne aux tréfonds de ses doutes ou de ses vérités intérieures, nous donnant à lire et à voir ses nudités d’être ».

Francine GHYSEN

♦ Retrouvez l’hommage de Francine Ghysen à Liliane Wouters dans Le Carnet et les Instants n° 191.