Où l’on appréhende en anthropologue le football et ses aficionados

Soutenir l’équipe nationale de football. Enjeux politiques et identitaires, édité par Jean-Michel DE WAELE et Frédéric LOUAULT, éditions de l’Université de Bruxelles, coll. « Science politique », 2016

equipe footÀ peine rangée la panoplie du parfait supporter, les vuvuzelas « made in Belgium », les casques « façon viking », les manchons à rétroviseurs et les maquillages noir-jaune-rouge, à peine mis au placard nos gueules de bois, nos rêves brisés, nos joies et nos tristesses, à peine de retour dans nos routines quotidiennes et nos soucis à mille lieues de l’Euro 2016 de football, que voilà que débarque, sur les tables de nos libraires favoris, Soutenir l’équipe nationale de football, un ouvrage académique édité par l’Université de Bruxelles.

Une façon de prolonger la fête ? De faire durer la liesse et l’ivresse ? De se donner du baume au cœur jusqu’à la prochaine grand-messe footballistique ?

Non.

C’est que l’opus, sous-titré Enjeux politiques et identitaires, nous inviterait plutôt à prendre du recul. À considérer le supportérisme autrement que par le biais de l’émotion et de la passion. Il existe déjà bien des études montrant la collusion entre le monde politique et le sport. Certaines nous montrent comment et pourquoi la promotion du sport aura été – et est encore parfois –, pour les autorités publiques, un moyen de façonner l’opinion. Une tentative – en tout cas – de rassembler autour d’une même idée les couches disparates d’une société civile en proie à de possibles, et parfois vives, tensions sociales. D’autres, comme cet ouvrage collectif, abordent la question par l’autre bout de la lorgnette : celui des supporters.

On ne trouvera donc ici que peu d’allusions aux intentions des politiques. On y trouvera, par contre, bon nombre de témoignages de supporters eux-mêmes. C’est que la plupart des études rassemblées ici sont issues d’enquêtes effectuées « sur le terrain » auprès de fans, voire d’« ultras ». Ce qui en ressort ? Un passionnant ouvrage d’anthropologie où, subitement, le football, si proche de nous, devient un fait de société où se croisent l’histoire la plus contemporaine, les mécanismes identitaires, les pulsions humaines les plus joyeuses et parfois les plus violentes.

Un passionnant ouvrage grâce auquel on apprend qu’on ne supporte ni de la même façon, ni pour les mêmes raisons, une équipe nationale si l’on est argentin, belge, égyptien ou camerounais.

À la base, bien sûr, il y a toujours la même volonté d’unité. De rassembler autour d’une équipe la ferveur, si possible, de tout un chacun. Cela prend parfois des allures de fête, comme au Brésil, où samba et supportérisme ont fait, dès les années 30, bon ménage. Cela relève parfois d’une obligation dictatoriale, comme au Cameroun, où le simple fait de critiquer l’équipe nationale fera de vous un opposant au régime. La composition même d’une équipe nationale et du public dans les gradins deviennent parfois, comme dans les pays issus de l’éclatement de la Yougoslavie, extrêmement révélatrices des tensions encore vives – ou de la volonté d’apaisement – entre communautés. En tout cas, quel que soit le rapport amour-haine – voire, dans certains cas, l’indifférence –, suscité par l’équipe nationale, il ne peut s’appréhender et se comprendre que par les circonstances historiques et politiques propres à chaque pays étudié.

Et chez nous, en Belgique ? Comment cela fonctionne-t-il ? Que révèle de notre société le supportérisme « à la belge » ?

Chez nous, pas d’obligation dictatoriale, bien sûr, à supporter l’équipe nationale. Pas question non plus de déclencher une guerre en raison d’un match perdu – ce fut quasiment le cas, en Égypte, suite à une défaite des Pharaons contre l’Algérie, quand Moubarak et sa clique tenaient encore les rênes du pouvoir, prenaient prétexte de toute occasion pour rassembler derrière eux, à force de propagande, tout ce que le pays comptait de patriotes potentiels.

Non.

Chez nous, c’est à la fois plus « soft » et plus sophistiqué. Plus « dans l’air du temps », pourrait-on dire. Plus lié au marketing et à la com, quoi. L’unité se fait ici par « coups médiatiques », en somme. Comme ce fut le cas lors des « défis » lancés par les Diables lors de la campagne préparatoire au mondial brésilien. Si cette façon d’« unir » derrière les Diables n’a rien d’un « scoop » – intuitivement, on sait tous que le supportérisme fonctionne ainsi, en Belgique : on le vit tous les jours, à l’occasion des grandes compétitions –, les études sur l’Italie, la Russie, la France, etc., permettent en tout cas de se rendre compte à quel point cette manière de faire, loin des excès patriotiques ayant cours ailleurs, est « typiquement belge ». Comme si l’identité « belge », le fait de « se sentir belge », ne pouvaient plus fonctionner, de nos jours, que de façon très « pragmatique ». Par le biais de la création d’un « produit ». Cela donne un supportérisme gentil. Sans « ultras ». Sans débordements. Un supportérisme passager aussi. Qui ne durera peut-être que le temps que dure un « produit » à la mode. Un supportérisme de consommateurs, en somme.

Vincent THOLOMÉ