Guy DELHASSE, Les recettes du polar sauce Lapin, Éditions de la Province de Liège, 2016, 162 p., 14 € ISBN : 9782390100461
Comme Joseph Delmelle jadis ou Joël Goffin naguère, Guy Delhasse est un chasseur de fantômes d’écrivains, c’est-à-dire qu’il s’est donné pour mission de repérer les traces laissées dans leurs œuvres par les auteurs qui ont hanté telle ville ou telle région. En véritable Sherlock Holmes de notre littérature, il mène ainsi depuis deux décennies ses recherches et ses pas dans presque toute la Wallonie orientale, passant de Liège à Bastogne, de Huy à Spa et d’Andenne à Verviers.
Prenons garde d’emblée, malgré son titre, Les recettes du polar sauce Lapin, son dernier-né, n’a rien d’un guide gastronomique, mais Delhasse, en Rouletabille patenté de la Cité ardente, commence par résoudre d’entrée une vieille énigme culinaro-policière : quel corps noie-t-on dans la très liégeoise sauce « Lapin » ? (Très charitablement, dans l’intérêt de l’auteur et de son éditeur, je me garderai de vendre la mèche dans ces quelques lignes ; il restera ainsi à mon lecteur gourmand et curieux de consentir à une dépense qu’il ne regrettera pas !)
Mais, bien sûr, le plat de résistance au menu de l’ouvrage n’est rien moins que l’histoire chronologique du roman policier au pays de Liège, tous sous-genres confondus. Un sacré morceau !
Dès la mise en bouche, on apprend que le tout premier « roman policier » publié en Cité ardente (et dûment identifié ainsi par son éditeur, Bénard) en 1918 s’intitule Les mouches d’or. Son auteur, qui signe Rodolphe De Warsage, est en fait l’avocat liégeois Edmond Schoonbroodt (1876-1940), fécond polygraphe et folkloriste curieux. « Une aventure de G.G. Brodery, avocat-détective », ainsi présente-t-il son roman. Aux yeux de Guy Delhasse, les influences de Sherlock Holmes et d’Arsène Lupin sont manifestes et, comme dans toute bonne detective novel, « il faut attendre la dernière phrase pour trouver l’identité du coupable ».
Ensuite, de décennie en décennie et jusqu’à aujourd’hui, Delhasse revisite les collections du genre pour y rechercher toutes les plumes liégeoises, tous les décors mosans, tant parmi les catalogues de grands éditeurs (comme Le Masque, la Noire, le Fleuve, Rivages, Le Poulpe…) que dans des collections de chez nous (la Jaune de Dupuis, la Nationale de Rex, le Jury de Steeman, le Sphinx de Maréchal, les Romans de Gare chez Luc Pire, etc.). Décidément, le bouquin de Delhasse est une vraie mine où on peut faire la connaissance d’auteurs méconnus, mystérieux, maudits, mythiques… Dans la ville qui a vu naître Simenon en 1903, qui se souvient de Frank Peter Belinda, de Louis-Thomas Jurdant, de Jean-Paul Duvivier ? Ces romanciers ont pourtant connu le succès et des tirages comparables à ceux d’un autre natif de Liège, Stanislas-André Steeman, l’auteur de l’emblématique Assassin habite au 21 et le créateur de M. Wens.
On ne suit jamais les enquêtes de Guy Delhasse en vain, même lorsqu’il s’ingénie à prouver que « Hercule Poirot est herstalien » ou quand il organise un match entre Simenon et Maigret… Passionnant !
Christian Libens