Erik RYDBERG, Que faire ! (contre l’ordre régnant), préface de Samir Amin, Couleur Livres et GRESEA, 2017, 80 p., 9€, ISBN : 9782870037003
Pour donner un titre à son petit ouvrage de réflexion sur l’état du monde actuel, Erik Rydberg (journaliste, ancien directeur du GRESEA – Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative) s’est souvenu, entre autres, de Lénine et de son célèbre Que faire ?, mais en l’assortissant d’un point d’exclamation : « Celui, écrit l’auteur, qui ouvre la discussion, le débat. Avec le courage de remettre en question le préconçu et le prémâché pour, avec la belle formule de Paul Veyne, passer ‘du concret aveugle à l’abstraction vraie’ ».
Malgré l’ambition intellectuelle qu’il affiche, Que faire ! (contre l’ordre régnant) est un livre court, qui semble relever d’un nouveau genre : l’essai qui invite à débattre, à échanger « en vrai », entre citoyens, dans l’espace public. Malgré ses 80 pages (y compris la préface de l’économiste Samir Amin), l’ouvrage s’appuie sur une documentation considérable et bien maîtrisée, tout en ambitionnant, avec un louable souci de pédagogie, de poser dans des termes simples quelques questions de fond concernant notre époque et d’amener le lecteur à penser, tout en lui offrant des perspectives pour poursuivre sa réflexion.
Le principe est simple : lancer des pistes en quelques pages, poser des questions et les prolonger à travers des suggestions bibliographiques assorties de commentaires personnels. Les thèmes sont certes d’actualité, mais leur formulation ne s’embarrasse guère du politiquement correct : un certain langage du pouvoir qui travestit le rapport des forces en présence, en tirant parti d’une amnésie croissante vis-à-vis de l’histoire ; la fin du religieux comme victoire ambiguë d’une certaine laïcité ; les défis trompeurs d’une mondialisation disqualifiant l’espace national comme terrain de résistance collective ; l’impuissance de l’immense majorité des citoyen-ne-s à faire valoir ses vues face à l’infime oligarchie du 1% des possédants ; la remise en cause, dans le même sens, de l’efficacité des partis politiques ; la méfiance tout orwellienne vis-à-vis de la mainmise croissante de la société numérique sur les consciences individuelles et, enfin, la volonté de pérenniser l’autonomie de la civilisation de l’écrit et de la lecture devant l’envahissement de la culture du copier-coller virtuel.
Puisant à la fois aux sources du marxisme et auprès d’auteurs anticonformistes, comme Régis Debray, son préfacier Samir Amin, l’historien britannique Eric Hobsbawm et bien d’autres, Rydberg, reprenant à son compte le « Sapere aude ! » (Ose savoir !) de Kant, fait, à sa manière un rien pamphlétaire, œuvre de lanceur d’alerte, en appelant ses contemporains à réfléchir et à discuter collectivement sur l’avenir du monde pour lui éviter de dériver entre les mains de structures économico-politiques opaques et dépourvues de légitimité démocratique.
Reste néanmoins une question : dans quelle sphère de l’espace public et à l’initiative de quels acteurs mobiliser le corps social en vue de susciter la discussion collective que l’auteur appelle de ses vœux ?
René Begon