Des rendez-vous manqués

Un coup de cœur du Carnet

Michel LAMBERT, Le lendemain, Pierre-Guillaume de Roux, 2017, 192 p., 19,90€, ISBN : 978-2-36371-187-8

lambert le lendemainDe rencontres fortuites en retrouvailles provoquées, ces neuf nouvelles convoquent des hommes et des femmes qui partagent, le temps d’un instant, des souvenirs surannés, envolés, la gêne d’une réunion improbable. Jean-Charles décide sur un coup de tête de rendre visite à un couple d’amis qu’il n’a plus vu depuis quinze ans. Vont-ils l’accueillir chaleureusement ? Un jeune homme recherche un peu de compagnie, un soir de fête et de grande solitude, et se retrouve attablé dans une discothèque avec un parfait inconnu, tout aussi seul que lui, rencontré quelques heures plus tôt dans un cinéma. Patricia revoit le père de son enfant qui l’a tant fait souffrir et ces lieux qu’elle a voulu fuir. Stéphane Malter sympathise avec son voisin de table dans un bar miteux de la côte. Ils renchérissent à qui aura le dernier mot et le cri le plus effrayant à la manière de Richard Widmark dans Panique sur la ville. Paul emmène sa compagne sur le champ de sa jeunesse, à travers ses premières expériences de planeur, ses premières peurs et ses premières envies de sublimer les choses par l’art. Dans un café où elle a ses habitudes, une femme attend un Xème homme rencontré sur la toile. À la terrasse du Continental, lieu qu’il fréquentait énormément lorsqu’il était journaliste, André tombe par hasard sur son ancienne maîtresse. Une autre terrasse voit l’invraisemblable réunion de Maxime Junior et d’un homme, tout de noir vêtu, qu’il avait croisé des années plus tôt, à l’hippodrome, là où Junior tentait tant bien que mal de se faire une place entre son imposant père et sa jambe boiteuse. Pour combler un manque, Roland recherche la présence d’Ingrid à la fête de fin de tournage du film dont il est le scénariste.

Le temps d’une rencontre ou d’une confession, des êtres se souviennent, s’épanchent, recherchent une présence, un contact, ou s’isolent un peu plus. Qu’ils soient issus de milieux aisés ou modestes, ils sont tous à leur manière appauvris, amputés de quelque chose. Ce sont des « dyslexiques des sentiments ». Michel Lambert est fasciné par les erreurs d’aiguillage, les petites choses du quotidien qui mènent vers d’autres fins. Des gestes, des impressions, des images se gravent dans la mémoire de certains. Ils les racontent aux autres, comme d’étranges obsessions éternellement répétées. Attablés à des terrasses de cafés ou parcourant les rues des villes, ces personnages sont saisis comme dans une peinture d’Edward Hopper. « Elle ne lavait pas vu venir. Elle était seule devant son guéridon au plateau de marbre. Ses yeux étaient dissimulés derrière des lunettes noires et, en mapprochant, je me demandai ce quelle regardait, la tête droite, lair absent, figée comme certaines femmes de Hopper. Sur le guéridon, une tasse de café. Sur le siège voisin, un sac bleu nuit de chez Hermès. » Et puis, comme toujours, il y a le ciel, cet infini tout à la fois lointain et à la portée de tous, ce bleu immaculé vers lequel les regards se lèvent sans cesse, à la recherche d’une solution ou d’un peu de réconfort. Le titre du recueil sonne comme une note d’espoir et comme une potentielle réponse au titre de son précédent recueil Quand nous reverrons-nous ?.

Michel Lambert est un écrivain d’exception, un peintre des sentiments. Sa gamme de couleurs, de tons, de nuances, d’atmosphères, de mots justes, de descriptions, est telle qu’il peut se permettre de rester fidèle au même style, aux mêmes scénarii, aux mêmes thématiques sans que l’on n’y décèle de côté redondant. Chaque nouvelle apportera toujours son lot d’originalité, un regard différent, une ouverture distincte, une couleur inédite. Certaines nouvelles sont d’ailleurs des réécritures d’anciens textes, mais Michel Lambert leur octroie une tout autre orientation. La présence du quotidien de tout un chacun est décelable derrière ces histoires que l’auteur a certainement inventées après avoir vu une femme seule à un bar ou un homme courir après un autre dans la rue. Les neuf nouvelles ne sont pas assemblées par hasard. Les titres ne sont pas anodins. Ils sont l’objet d’une construction intelligente et réfléchie. À la fin de la soirée, arrive le lendemain et avec lui une nouvelle lumière. « Demain, il fera beau. »

Émilie Gäbele