« Tu crois que les gens sont morts mais en fait ils ne meurent pas »

Un coup de coeur du Carnet

Stéphanie BLANCHOUD, Jackson Bay, Lansman, 2017, 64 p., 12€, ISBN : 978-2-8071-0131-9

blanchoud jackson bayJackson Bay, Nouvelle-Zélande. Le bout du monde. Les touristes y vont pour sa nature sauvage, ses plages escarpées, sa faune locale… et surtout sa solitude de baie isolée du reste du monde. Le beau temps n’est pas toujours de la partie. Norman, Jeanne, Fish et Mendy y sont coincés. Les intempéries les obligent à rester enfermés dans la kitchenette du camping. L’envie de s’évader est très présente, mais chacun doit prendre son mal en patience. Dans ce huis-clos non désiré, on tue le temps et on apprend peu à peu à se connaître. Norman et Jeanne, la quarantaine, voyagent ensemble en camping-car. Norman a perdu sa femme, Claire, depuis peu. Il réalise son plus grand rêve : voyager en Nouvelle-Zélande, à défaut d’avoir pu le faire avec elle, si ce n’est à travers la lecture du Lonely Planet. Jeanne n’est pas très heureuse dans cette relation. Elle comble son mal-être en parlant beaucoup. Elle aimerait que Norman soit plus tendre, mais il reste dans sa bulle. Fish et Mendy, la trentaine, voyagent en solitaire. Eux aussi ont emporté avec eux leur lot de malheurs. Ils semblent se plaire et se rapprochent l’un de l’autre.

Norman est tendu, il étouffe dans ce petit périmètre et tourne en rond. Il passe le plus clair de son temps à écraser les sandflies qui volent autour de lui. Leurs vacances vont bientôt se terminer et ils n’ont encore rien vu. Jeanne est conciliante et aux petits soins pour tout le monde. Fish évacue ses angoisses grâce au sport et écrit de longues lettres à sa mère. Mendy est taciturne et souvent dans ses pensées. Tous portent en eux le poids d’une disparition récente. La mort rôde… Le voyage serait-il le résultat d’une fuite ? Le besoin d’un havre de paix pour se retrouver ? L’isolement n’est pas tellement dû au lieu, à la météo maussade, au manque de moyens de communication. Il est dû à leurs malheurs personnels qu’ils gardent au fond d’eux-mêmes. De brèves éclaircies parviennent peu à peu à transpercer le manteau gris du ciel. La pluie se calme. Le vent s’adoucit. Les esprits s’apaisent. Vont-ils pouvoir terminer leur voyage ? Retrouveront-ils une sérénité intérieure ?

Tout au long de la pièce, le temps semble suspendu. Le récit, d’une plume brève et précise, est parfaitement construit. Stéphanie Blanchoud ne nous livre pas trop d’informations et garde un certain mystère, des interrogations. La tension propre à chaque personnage est de plus en plus palpable. Ces âmes en errance sont admirablement croquées et chacun a droit à son aparté. La pièce traite d’un sujet hautement tabou dans nos sociétés occidentales : la mort et la disparition. Celle-ci reste l’apanage de tout un chacun. Le texte abonde de didascalies que les futurs metteurs en scène choisiront à leur guise de prendre en compte ou non. La pièce a été mise en scène par Stéphanie Blanchoud elle-même et créée à Genève en janvier dernier.

Émilie Gäbele