Bertrand MENUT, La station balnéaire qui attendait la mer, Paul & Mike., 2017, 195 p., 14,90€/ePub : 4,99 €, ISBN : 9782366510966
Dans une ville de province, Bogart travaille à l’office d’accommodation des vieux diplômes, chargé officiellement d’aider les universitaires à s’insérer dans le monde réel et à trouver un travail décent, officieusement un lieu où des « pros du bluff » s’échangent des petits boulots sans lendemain, une « agence tous risques des remplacements impossibles ».
Le directeur de Bogart annonce que, réchauffement climatique oblige, le bord de mer va se rapprocher, la ville deviendra sous peu une station balnéaire, il lance donc des grands plans de réaménagement urbain. Bogart a pour tâche de devenir le gardien du phare, qui arrivera dans quelques jours en pièces détachées. On le voit évoluer avec beaucoup de naturel dans cette situation atypique avec Miss Gable, la secrétaire de son patron et sa nouvelle amoureuse, mais aussi Artaban, qui a créé un mouvement littéraire intitulé « je-m’en-foutisme », dont le but est d’écrire « n’importe quoi selon ses envies, son humeur et son talent puisque, sauf cas exceptionnels, ça n’intéresse personne et tout le monde s’en fout ». Le ton est donné.
Dans ce premier roman, Bertrand Menut nous plonge dans un univers décalé et burlesque où ni rien ni personne n’est jamais vraiment pris au sérieux (« Bogart était furieux d’être tiré du lit aussi tôt par un inconnu. Il se releva vite, trop vite, à en juger par le cliquetis intempestif de quelques vertèbres qui jouaient aux osselets autour de son coccyx. Pour remettre de l’ordre dans sa colonne vertébrale, Bogart se secoua le bas des reins et fit coin-coin. »).
À travers un style bourré d’humour mais très travaillé, on décèle dans les aventures déjantées des personnages un regard critique, voire acerbe, sur les universitaires, les écrivains, les directeurs d’entreprise, la société de consommation,… « Ils avaient traité cette information avec ce flegme caractéristique des gens de l’administration qui ignorent les affres des émotions jusqu’au jour béni de leur départ à la retraite. »
Même si le lecteur n’est pas passionné par des récits frôlant l’absurde, il se laisse facilement guider et charmer par cet univers surréaliste où on découvre un Artaban littéralement assis sur un petit nuage, une machine qui fabrique toute seule des rondelles, des murs qui rougissent, une dame avec un aimant à gros naze dans le bras (sic !) ou un Bogart qui arrête un saut en plein vol pour reprendre ses esprits.
Mais ce n’est pas tout, le récit est truffé de références à la littérature et au cinéma, délicieux clins d’œil dont Bertrand Menut se délecte, jouant avec les clichés et parodiant des scènes célèbres, allant même jusqu’à jouer avec son lecteur (« Exercice pour les cinéphiles : à partir [de] ces deux phrases tirées d’un monologue célèbre, retrouvez le titre original d’un grand classique du cinéma français et déterminez le temps de parcours qu’une Ford Mustang mettait, en 1966, pour parcourir Deauville-Paris, de nuit, et sous la pluie. »).
Vous l’aurez compris, La station balnéaire qui attendait la mer est un roman drôle, décalé, suscitant aussi la réflexion. On ne s’ennuie pas.
Séverine Radoux