Une leçon de Marguerite Yourcenar sur le drame grec revisité

Marguerite YOURCENAR, Carnet de notes d’Électre, texte établi et présenté par Achmy Halley, illustrations originales d’Alecos Fassianos, éditions Fata Morgana, 2017, 48 p., 10 €, ISBN : 978-2-85194-988-2

yourcenar carnet de notes d electre

Les figures des légendes grecques n’ont cessé, à travers les siècles, de nourrir la création occidentale et de nous aider à concevoir et à rêver le monde. Souvenons-nous, entre autres, combien nous avons été bouleversé.e.s par l’Antigone et l’Œdipe sur la route d’Henry Bauchau.

L’œuvre de Marguerite Yourcenar doit beaucoup aux modèles, aux personnages de la Grèce antique depuis son premier livre, publié à compte d’auteur alors qu’elle n’a pas même vingt ans, Le jardin des chimères, « un poème dramatique revisitant maladroitement le mythe d’Icare », ainsi que le qualifie Achmy Halley. On retiendra tout particulièrement Feux (1936), dédié à Hermès, messager des dieux. Il y aura aussi une pièce de théâtre, Électre ou la Chute des masques (1943) qu’elle avait d’abord pensé titrer Électre ou l’illusion perdue. En 1954, cette pièce qui devait être mise en scène par Marcel Herrand le sera par Jean Marchat, suite à la disparition du premier. L’écrivaine et le metteur en scène auront une relation conflictuelle dès le début des répétitions à cause d’un désaccord sur la distribution. Elle intentera deux procès et sa victoire sera, ainsi que le rappelle Michèle Goslar dans sa biographie, « d’avoir défendu le droit de l’écrivain à superviser la mise en scène de son œuvre, et le respect dû au texte ». Perpétuel débat.

De cette dispute, il n’est pas question dans le Carnet de notes d’Électre publié une première fois dans le Théâtre de France à l’occasion de la création de la pièce. Le texte donné à lire aujourd’hui par les Éditions Fata Morgana est une version légèrement remaniée d’après les quelques corrections et modifications que Yourcenar avait portées sur son exemplaire de la revue annuelle. Court, une vingtaine de pages, il est avant tout une synthèse (didactique) de sa conception du drame grec revisité et modernisé. Elle y compare les pièces de ses contemporains Cocteau, Anouilh, Giraudoux, Sartre, Gide… Elle rappelle que chacun met de soi dans « ces moules éternels » et marque ses différences. Elle nous ouvre aussi les coulisses de son écriture. Évidemment, ce carnet est bien moins important que celui consacré aux Mémoires d’Hadrien ou à L’œuvre au noir, mais il est toujours agréable de lire les enseignements de Yourcenar à propos de la littérature – même si on ne partage pas toujours son avis partisan. Le carnet est suivi d’une postface éclairante, « Marguerite Yourcenar et la tragédie grecque. Quand les visages dévorent les masques » où Achmy Halley revient non seulement sur le texte mais aussi sur la pièce elle-même. Illustré de cinq dessins originaux de l’artiste grec Alecos Fassianos dont l’œuvre oscille plus visiblement que les textes de Marguerite Yourcenar entre la mythologie et le monde moderne, ce Carnet de notes d’Électre ravira les amoureux de l’œuvre de Marguerite Yourcenar et sera d’une belle aide à celles et ceux, enseignant.e.s et élèves, qui abordent encore en classe le thème du théâtre antique revisité par les auteurs du vingtième siècle.

Michel Zumkir