Une épopée-tragédie-farce intrépide

Anatole ATLAS, Amen, 2017, Miroir Sphérique, 232 p., 20 €, ISBN : 9782960293625

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Dans le sillage de l’étourdissant Berlue d’Hurluberlu, paraît – ou plutôt surgit ! – le nouveau livre d’Anatole Atlas, alias Jean-Louis Lippert : Amen. Roman d’aventures politico-philosophiques, mêlant poésie et combat, imagination débridée et féroce ironie, envolées lyriques et anathèmes.

Préparez-vous à des bonds audacieux dans l’espace-temps, à des collisions entre l’affabulation et le réel. « Avec de la fiction bousculer la réalité : tel est le défi de toute littérature. »

Autour de l’envoûtante conteuse Shéhérazade (« De toutes les personnes rencontrées durant ma vie, la seule à qui j’ai dit je t’aime ») et son précieux Œil imaginal, « longue-vue sur les siècles », vous croiserez Bill Gates, l’homme le plus fortuné du monde, en secrétaire inattendu d’Avicenne (980-1037), « le plus divin des philosophes […] mon maître à travers les âges ».

Vous saluerez l’Homme-Oiseau, survolant l’histoire du temps depuis sa caverne de Lascaux où « jaillit le feu sacré ».

Vous vous réjouirez de la profonde, amicale complicité née entre Thyl Ulenspiegel et le commissaire Maigret, face au « pseudocosme contemporain » dans lequel, sous le masque rassurant d’idéologies humanitaires, « une concurrence féroce pour l’accumulation des richesses impose fractures et désastres sans nombre ». Et notre pamphlétaire de pourfendre un monde régi pas Kapitotal, « un empire sur lequel jamais ne se couchent les faux soleils de la tour Panoptic », contrôlé par les inséparables « Hillary Bomb et Killer Donald », champions du redoutable Mentir-Vrai.

Cette épopée-tragédie-farce, menée à vive allure, qui ne manque, même dans ses pages les plus sombres, ni de souffle ni de verve, est émaillée de portraits en charge, tel celui de BHL cumulant les rôles « du milliardaire et du révolutionnaire, du prophète et du philosophe, du cinéaste et du romancier, du dramaturge et du conférencier, de l’escroc et du justicier, du rentier et de l’aventurier ».

Si l’on fait la part de la démesure dans ses emportements, ses imprécations, ses critiques acerbes, on ne peut – ne veut – accepter ses propos dénigrants sur Simon Leys, qui fut le premier intellectuel à dénoncer, seul contre tous et aussitôt conspué, les ravages de la Révolution culturelle, dans Les habits neufs du président Mao (1971). Simon Leys, coupable, aux yeux d’Anatole Atlas, d’avoir jeté bas la statue du Grand Timonier. Honte à qui ose se dresser contre « les géants politiques du XXe siècle que furent Lénine, Mao Zedong, Hô Chi Minh ou Fidel Castro ».

On retiendra plutôt le discours philosophique, poétique Feu sur la Bibliothèque d’Alexandrie, « première capitale européenne de la culture ». Des plages méditatives dont on aime l’esprit, le style et la sensibilité.

« De Villon en Aragon court cette source souterraine, qui affleure chez Nerval et Baudelaire, Lautréamont et Rimbaud, pour dire qu’une étoile morte, le soleil noir de la mélancolie, préfigurent une tour abolie.»

« Chaque être a pour destin de pousser un cri, qui s’inscrive comme trace sur le premier sable du monde et que l’eau de la mer recueille en sa mémoire.»

Francine Ghysen