Jouez jeunesse !

La scène aux ados – 13 et 14, Lansman, 2017, 105 et 103 p., 15€, ISBN : 978-2-8071-0141-8 et 978-2-8071-0142-5

scene aux ados 13scene aux ados 14Forte de ses missions d’éducation, de formation et d’échange, l’association IThAC – anciennement appelée asbl théâtre-éducation Promotion-Théâtre – s’est lancée, depuis 2004, dans le beau projet d’amener la pratique du théâtre en milieu scolaire et extrascolaire, à travers des œuvres d’auteurs dramatiques contemporains. Ce projet intitulé « La scène aux ados » a lieu tous les deux ans. Des auteurs, sélectionnés en amont, proposent des textes adaptés aux contraintes des grands groupes. Ces pièces se voient rassembler et publier chez Lansman, et ainsi mises à la disposition des enseignants et des ateliers théâtre. Mais le but ultime du projet reste la mise en scène. Des groupes de jeunes s’emparent de ces textes, les montent et les présentent au public lors de festivals organisés avec des théâtres et des centres culturels (la prochaine édition aura lieu lors de la saison 2017-2018). Ce projet est soutenu par différents opérateurs et associations, tels le Centre des Écritures Dramatiques Wallonie-Bruxelles (CED-WB), l’association Émilie&Cie, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) et la Province de Namur. Dans le cadre des publications 13 et 14 qui nous concernent ici, une nouvelle formule a été expérimentée. Les auteurs sont tous issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils ont eux-mêmes participé à différentes étapes préparatoires et ont été accompagnés tout au long de leur processus d’écriture par le dramaturge belge Régis Duqué.

Les huit textes de ces deux tomes répondent tous à la première condition qui est de permettre de grandes distributions. Ils sont chacun le résultat d’un travail personnel, nourri de rencontres et de discussions. Les présents recueils proposent des textes singuliers, aussi bien du point de vue du style, de la forme, du ton et de la narration, que des thématiques.

Dans le numéro 13, Céline De Bo (Les mots silencieux) questionne les rapports d’une famille recomposée, lors d’un repas dominical. Les parents ne trouvent pas toujours la voie du dialogue avec leurs enfants. Mais Céline De Bo prouve qu’au-delà des mots, l’échange est toujours possible. #CUNNM de Catherine Daele nous emporte dans les confins de la toile et des réseaux sociaux où la génération Z n’est plus faite que d’utilisateurs lambda, de « Transportés », enfermés chacun dans leur bulle, repliés sur eux-mêmes, auto-anesthésiés du reste du monde. Mais l’arrivée de migrants dans l’histoire changera peut-être le cours des choses. Et si l’on pouvait à nouveau se déconnecter et composer ensemble ? Échanger par de vrais dialogues, se regarder et s’étreindre ? Valériane De Maerteleire interroge, quant à elle, les rapports intergénérationnels dans Une année de bonheur pour 12 êtres humains de cette terre. Madame Lilly a un rêve : réunir tous les samedis après-midi six vieux très vieux et six jeunes très jeunes. Les premières rencontres restent assez froides. On se jauge, on se dévisage. Mais peu à peu, les élèves et les pensionnaires du home apprennent à se connaître et à s’apprécier. Une véritable complicité voit même le jour. Et si la différence ne résidait que dans l’âge ? La guerre civile de Jean-Pierre Borlon nous emmène, comme son nom l’indique, dans des épisodes dramatiques, au cœur du déracinement, de la mort, du sang et de la barbarie. Un enfant doit tout quitter du jour au lendemain et suivre le chemin de l’exil, jusqu’à son enrôlement de force comme enfant-soldat. Comment dire adieu à sa maison, à ses souvenirs, à tout ce qui l’a forgé, à ses chansons et à ceux qu’il a aimés ? Un arrière-goût de sang amer s’empare de la bouche du narrateur.

Dans le numéro 14, Daniela Ginevro évoque un mur de la honte dans Ou/Est. Ce mur qui divise deux peuples en rappelle bien d’autres. À l’Est, où tout est aride, où l’eau commence à manquer, on rêve de voir l’océan. À l’Ouest, on craint l’envahisseur, on se barricade et prépare la défense. Les adultes semblent avoir déserté les lieux et laisser l’avenir entre les mains des jeunes de la cité. Au pied du mur, s’affrontent les jeunes infortunés de l’Est et les jeunes armés de l’Ouest. Et si le mur venait à péter, un nouveau départ, main dans la main, serait-il possible ? Thomas Depryck, quant à lui, adapte librement le roman de Mark Twain, dans Le jour du meurtre dans la vie de Thomas Sawyer et Huckleberry Finn, et en propose une narration à plusieurs voix. Deux jeunes garçons, Tom et Huck, assistent au meurtre du docteur Robinson par Joe l’Indien. Mais ce dernier fait porter le chapeau à Muff Potter, l’ivrogne du village. Les deux jeunes hommes craignent l’Indien par-dessus tout. Parviendront-ils à rester silencieux ou leur bonne conscience reprendra le dessus ? Le côté obscur des âmes humaines n’est pas épargné. Luc Malghem aborde l’ample question du féminisme dans Le féminisme expliqué aux parents (et à lauteur de la pièce). Le collège Olympe de Gouges, exclusivement réservé aux filles, se voit obliger de s’ouvrir à la mixité. L’auteur s’amuse avec les stéréotypes et autres clichés de genre, ainsi qu’avec les codes du théâtre. Enfin, Louise Emö met en scène, à un arrêt de bus, un duo de frères, Tim et Tom, deux jeunes garçons livrés à eux-mêmes qui, tout en se chamaillant et en regardant le temps qui passe, ont décidé de retrouver leur père devenu une star. Sorte de road movie théâtral qui les mènera à de drôles de rencontres.

Les huit auteurs sélectionnés sont, pour la plupart, pédagogues et familiers des ateliers théâtre. Chacun de ces textes propose des thématiques fortes : les nouveaux schémas familiaux, la différence, l’évolution des technologies et des moyens de communication, la migration, les rapports intergénérationnels, la guerre civile, la barbarie, les conflits territoriaux, l’injustice, l’adolescence, la construction de soi, le féminisme… Quel plaisir de pouvoir aborder, à travers ce projet de « La scène aux ados », ces problématiques avec les plus jeunes, de pouvoir en discuter ensemble à travers l’art du théâtre. Car qu’y a-t-il de plus beau qu’une scène de théâtre pour s’ouvrir au monde et tenter, si pas de le comprendre, du moins d’essayer et de l’interroger ?

Émilie Gäbele