Une fable révolutionnaire

Un coup de cœur du Carnet

Pietro PIZZUTI, L’hiver de la cigale, Lansman, 2017, 40 p., 10 €, ISBN : 978-2-8071-0146-3

pizzutti

Laura Welter, 44 ans, est accusée du meurtre de l’ancien dictateur Oscar Antonio Somadossi Roederer. Elle était, depuis plusieurs mois, sa lectrice attitrée. Elle lui lisait essentiellement ses carnets. Le vieil homme malade et presque aveugle s’attendrissait de réentendre ses propres mots, notamment sur la naissance et l’enfance de sa fille Isadora, cette jeune enfant à qui il aimait raconter et réinventer l’histoire de La cigale et la fourmi. Lui qui avait échappé à la justice – même si le Tribunal des Disparus l’avait reconnu coupable pour crimes contre l’humanité – n’allait plus faire de vieux os. Alors qu’est-ce qui a poussé Laura Welter à l’assassiner ? Pour qui travaille-t-elle ? Peut-on ressentir de l’empathie, voire de la tendresse pour une crapule dont les milices ont tué de nombreux innocents ? Et cette même crapule peut-elle montrer ses failles et ses émotions paternelles ?

La pièce retrace les différentes rencontres entre Laura et son avocate, Nathalie Franchi. Pendant un an, les deux femmes au caractère fort se retrouvent dans une salle de prison. Nathalie veut faire croire à un acte d’euthanasie ou d’une déséquilibrée. Selon elle, la vérité n’est pas toujours utile à dire. Laura veut clamer sa culpabilité. De nouveaux éléments, des révélations vont entrer en jeu. Peu à peu, l’histoire va prendre une tout autre tournure. Le destin des deux femmes semble être lié depuis plus longtemps qu’on ne le pensait. Nathalie n’aura peut-être pas à jouer le rôle qu’elle se doit d’emprunter. Au contraire, elle se verra amoindrie en se prenant de plein fouet son propre passé. Laura parviendra-t-elle à mener son acte jusqu’au bout ? Le magnifique coup de théâtre final nous le dira.

Pietro Pizzuti offre un excellent texte qui réunit intrigue politique, polar, récit fictionnel et historique. Il use très habilement d’une montée progressive du suspense et d’une forte tension. Des images de dictatures, de massacres humains se dessinent sous nos yeux. L’histoire évoquée se déroule vraisemblablement dans un pays hispanique où nombre de dictateurs ont sévi durement au siècle dernier. Certains ont coulé des jours tranquilles jusqu’à ce que la vieillesse et la maladie les rattrapent. Le texte qui ne tombe jamais dans le bien-pensant n’est pas exempt de poésie et d’émotion, avec un très beau passage notamment où Nathalie convoque ses souvenirs et ses fantômes. La pièce qui avait été créée en 2010 au Théâtre Le Public se voit enfin publié pour cause de nouvelle création au Off d’Avignon cet été 2017. On se réjouit que ce texte ait séduit outre-Quiévrain et qu’il ait permis la présente édition.

Émilie Gäbele