Norge, poète de la diversité du monde

Daniel LAROCHE, Modernité de Norge, L’Arbre à paroles, coll. « Essais des Midis de la Poésie », 2017, 48 p., 9 €, ISBN :

larocheÀ l’image traditionnelle d’un Norge (Georges Mogin, 1898-1990) poète humaniste, partagé entre la spiritualité et l’épicurisme, Daniel Laroche, dans sa conférence du trente et un janvier dernier aux Midis de la Poésie, éditée aujourd’hui par l’Arbre à paroles, Modernité de Norge, apporte une dimension, un souffle nouveaux.

Il se fonde, plutôt que sur les recueils souvent commentés Le sourire d’Icare (1936) ou Joie aux âmes (1941), sur sa poésie d’après-guerre, où se forge son originalité : Les râpes (1949), Famines (1950), Les oignons et Le gros gibier (1953).

On découvre Norge marqué par deux inspirateurs de poids. Darwin et sa grande loi cruelle du plus fort, qui n’est pas étranger à son constat fataliste que la vie est un combat où « prédateur et proie : chacun doit assumer son rôle sur cette terre ». Nietzsche, dont il retient notamment le rire libérateur, indispensable contrepoint à l’esprit de sérieux. Le rire que notre poète décline sous toutes ses formes, de la drôlerie spontanée à l’humour noir.

Comment résister à son allégresse fantasque :
Vivre pour le jeu, la bombance,
L’amour, l’envol, le chant, la danse,
Me semble moins sot qu’on ne pense.
C’est pourquoi ces bêtes me touchent. 

Ces bêtes ne sont autres que les mouches, à ses yeux aussi insouciantes et joyeuses qu’éphémères.

Daniel Laroche détaille la manière très personnelle qu’a Norge de réutiliser, de se réapproprier des textes anciens, aussi bien bibliques que mythologiques, des chansons populaires, des proverbes, sans oublier des légendes et contes de fées qu’il se plaît à remettre en scène, à réinterpréter, tel La belle au bois dormant devenu La belle endormie.


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Il le regarde jouer avec le langage, tantôt cultivant les archaïsmes, tantôt maniant avec un plaisir espiègle les expressions familières, voire argotiques (« voilà ti pas que »), se délectant de narguer l’autorité du français officiel, conventionnel. Quand il n’invente pas des vocables (« on s’entoge », « l’amberluche »), jusqu’à risquer des jeux acrobatiques.

Pittoresque, savoureuse, la poésie de Norge est aussi « une mise à l’épreuve de la langue, de sa résistance, de son élasticité, de ses possibilités insoupçonnées ».

Daniel Laroche résume ainsi la modernité de ce poète aux voix multiples (qu’il ne cherchait pas à réconcilier, comme on l’a souvent suggéré, leur laissant au contraire libre cours), tour à tour grave et cocasse, méditative et frondeuse, jubilante et désabusée : « accueillir dans une écriture originale l’irréductible pluralité des langages, des styles, des genres, mais aussi des vérités morales et idéologiques ».

Car, pour lui, « la vérité du monde est foncièrement plurielle, et même contradictoire ».

Complété d’une biographie et d’une bibliographie, ce texte pertinent, convaincant, rend Norge très présent, attachant. Et nous donne grande envie de le relire…!

Francine Ghysen