Éric BROGNIET, Tutti Cadaveri, suivi de la traduction en italien de Rio Di Maria et Christiana Panella, illustration de couverture de Daniel Pelletti, L’Arbre à paroles, 2017, 48 p., 10 €, ISBN : 978-2-87406-653-5
Tutti Cadaveri, le texte d’Éric Brogniet consacré à la catastrophe du Bois du Cazier paraît aujourd’hui accompagné de sa traduction en italien. Ceux qui ont suivi à travers les media la quinzaine d’enfer vécue à Marcinelle du 8 au 23 août 1956, se souviennent de ce cri terrible qui mit fin à tout espoir pour nombre de familles de mineurs – en majorité italiennes – rassemblées devant les grilles du charbonnage sinistré.
Dénué de tout pathos, le texte de Brogniet mise sur une totale rigueur dans le déroulé des faits. Ce qui confère plus d’efficacité encore au réquisitoire virulent qu’il représente contre le primat du profit que la société en général et la finance en particulier cultivent au mépris du respect de la santé, du bien-être et de la sécurité de ceux qui en sont les artisans. Aussi l’auteur élargit-il le propos à d’autres catastrophes éminemment meurtrières, marquées par l’empreinte humaine et par des comportements pour le moins contestables comme, par exemple, l’incurie italienne responsable du naufrage de l’Andrea Doria ou la livraison par la Belgique de l’uranium congolais nécessaire à la fabrication des bombes qui « rayèrent deux villes japonaises (…) de la carte du monde ». (On pourrait imaginer que c’est pour souligner les aspects mercantiles inhérents à la dangerosité d’exploitations comme le charbonnage de Marcinelle que l’auteur introduit chacun de ses paragraphes – de ses « attendus » ? – par une esperluette. Un signe qui, comme le confirme le dictionnaire, est bien « un et commercial »). Au fil de ces textes, on suit, jour par jour et presque heure par heure, les éléments constitutifs du piège majuscule qui s’est refermé sur les 262 victimes à qui ce livre est dédié. Les nombreuses erreurs et négligences de responsables y alternent avec les comportements héroïques de certains acteurs du drame. Quant à la presse italienne, elle ne manqua pas de souligner combien les charbonnages de Belgique avaient mauvaise réputation en précisant notamment – et sans doute avec un brin d’exagération opportuniste – qu’ « En aucun pays du monde, on n’a jamais enregistré autant de catastrophes minières qu’en Belgique. »
Quoi qu’il en soit, Éric Brogniet rappelle aussi qu’après un acquittement général, une seule peine sera prononcée, en appel, contre un directeur des travaux, soit six mois de prison avec sursis et une amende de 2000 francs ! Dans leurs arrêts, les juges n’avaient pourtant pas oublié de noter que « l’économie, quelle que soit l’importance pour le bien général, ne peut prétendre étouffer les autres valeurs, la vie étant le plus grand de tous les biens et devant être protégée jusqu’aux limites les plus extrêmes » .
Des limites qui, à en croire les faits rapportés par l’auteur, seraient quelque peu fluctuantes selon que l’on soit puissant ou misérable…
Restent aujourd’hui « des ombres qui peuplent désormais les entrailles de la terre » et dont « les âmes se sont envolées (…) par la cheminée atroce d’un puits d’extraction fumant comme un crématoire ».
Ghislain Cotton