Cathy MIN JUNG, Sing my Life, Lansman, 2017, 58 p., 12€, ISBN : 978-2-8071-0160-9
Brigitte, Caroline, Danièle, Étienne, Marko, Sonia sont ce qu’on appelle communément des « petites gens ». La plupart d’entre eux sont ouvriers et travaillent dans une usine sidérurgique. Polir des pièces toute la journée, s’occuper des enfants le soir en rentrant du boulot – du moins pour les femmes – fatigue, douleur, salaire de misère et fin de mois difficile, leur quotidien est loin d’être rose, leur avenir reste terne. Pourtant, voici venu le temps des rêves. Caroline et Étienne se sont saignés toute leur vie. Avec l’aide de leurs proches, ils envisagent d’accomplir un grand voyage, celui qu’ils attendent depuis tant d’années : visiter la Chine. Sonia, quant à elle, a une voix de cristal. Danièle, la tenancière du bistrot où ils se retrouvent tous les midis, l’a inscrite à un télé-crochet « Sing my Life ». Elle accepte d’y participer, même si son mari, Marko, ne voit pas cette compétition d’un bon œil. À quarante ans, Sonia va-t-elle connaître la gloire ? La promesse d’un futur meilleur devient tout d’un coup envisageable.
Mais les rêves n’ont qu’un temps. La grisaille du quotidien, l’implacable et dure réalité refont toujours surface. Étienne surprend une conversation lors de laquelle il est question de fermeture de l’usine et de délocalisation. Il s’en prend physiquement à l’un des patrons et se fait licencier sur-le-champ. Un mouvement de contestation se met en marche. La lutte commence. Les ouvriers bloquent l’entrée de l’usine aux camions venus chercher le matériel et les outils. Jusqu’à quand tiendront-ils ? Seront-ils entendus ? Sonia parvient un moment à attirer l’attention des médias sur l’usine. Mais en participant à cette compétition télévisée, ne devient-elle pas à son tour une marionnette de la toute-puissante finance ?
Fermeture d’usine, surpuissance du bénéfice, actionnaires aux dents longues, compétitivité, rentabilité, productivité, délocalisation, impuissance des ouvriers, licenciement, chômage, désolation, show-business, paillettes, produit, farce, argent… La liste est longue et noire. Cathy Min Jung a trouvé à travers les mots un moyen de crier sa colère. Après le monologue émouvant Les bonnes intentions, elle continue sur sa lancée et nous parle une fois encore de l’abandon, celui cette fois de millions de personnes à leur triste condition. Avec un peu d’humour et beaucoup de lucidité, l’auteure fait s’entrecroiser deux univers, le divertissement et l’usine, et met le doigt là où ça fait mal, là où notre société fait défaut, là où le système l’emporte toujours. Que faire face à l’impérialisme de la finance quand on n’est qu’un simple ouvrier ? Rien, sinon se taire, baisser l’échine et accepter les dures conditions de travail et de vie qui s’offrent à soi. À travers le quotidien de quelques ouvriers qui voient leur vie basculer, Sing my Life nous parvient comme une critique percutante envers ce système qui enrichit toujours plus les riches pour appauvrir les pauvres. La conclusion n’est pas heureuse. Elle n’est pas non plus mensongère. Elle est malheureusement le reflet de l’existence de millions d’êtres humains dans le monde, complètement délaissés… complètement niés.
Émilie Gäbele