Michèle Goslar : contemporanéité de Yourcenar

Un coup de cœur du Carnet

Michèle GOSLAR, Yourcenar en images, Racine et Académie royale de langue et de littérature françaises, 2017, 208 p., 24,95 €, ISBN : 978-2390250340

goslar yourcenar en imagesFondatrice du Centre International de Documentation Marguerite Yourcenar, auteure d’une magistrale étude consacrée à Victor Horta (Victor Horta, L’Homme, l’Architecte, l’Art Nouveau, Fonds Mercator), Michèle Goslar appartient à la confrérie des passionnés qui arpentent sans relâche l’œuvre des créateurs qui les ont envoûtés. Au travers de photos peu connues et de textes ciselant la modernité de l’auteure de Mémoires d’Hadrien, de L’Œuvre au noir, Yourcenar en images délivre un souverain portrait d’une écrivain qui éleva la littérature au rang d’une voie de pensée interrogeant l’Histoire, la tension entre les passions et la raison, la courbe des civilisations. Si l’ouvrage recèle une telle intensité, c’est parce que Michèle Goslar vit dans l’univers de Yourcenar dont elle a capté la musique intérieure. Si elle dépasse l’opposition devenue stérile entre le clan des contre Sainte-Beuve et les partisans d’une radiographie de l’œuvre à partir de la vie, c’est au sens où, dans un vertige infini, la vie imite l’œuvre, laquelle réverbère la vie. Plus que proposer d’hypothétiques allers et retours entre le vécu et le processus créateur, Michèle Goslar ausculte les possibles échos entre événements de l’existence et motifs romanesques, sachant qu’il n’y a création que là où le vécu s’évide, se dépasse, se transmue en expérience supra-personnelle.

Instantanés de l’enfance et de ses scènes cardinales, déambulations géographiques qui sont autant de voyages intérieurs, pratique de l’écriture comme quête alchimique, comme terrain où décentrer l’homme au profit d’une alliance entre humains et non-humains, pensée écologique visionnaire qui, imprégnant ses grands romans, fait de Yourcenar la sentinelle d’une défense de toutes les formes du vivant, prise de conscience avant l’heure de la dévastation de la Terre sous l’action de l’homme… tels sont quelques-uns des affluents du fleuve nommé Yourcenar que Michèle Goslar met en lumière. L’auteure du Coup de grâce, d’Alexis a lu le monde comme un livre dont la trajectoire heurtée a oscillé entre conquêtes de l’esprit, de libertés et repli dans l’obscurantisme, appétit de destruction. Assistant à une exacerbation du désastre écologique, son pessimisme finira par prendre le dessus. Michèle Goslar relit son œuvre comme un monde : sans nous donner de clés, refusant de prendre la position de qui prodigue des leçons, l’univers construit par Yourcenar est à même de nous orienter dans la désorientation actuelle, de lancer des pensées qui nous arment contre la résignation à la débâcle.


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Longtemps, on a attendu un album Yourcenar dans La Pléiade. Le voici, étoffé d’une lecture qui fait un sort aux clichés de classicisme, d’hiératisme qui pèsent à tort sur Yourcenar. Ayant choisi de sonder les textes en écoutant leurs points de tangence, de contact avec notre contemporanéité,  Michèle Goslar délivre un portrait en clair-obscur où l’époque passée et l’époque présente agissent en arrière-fond. Non pas un portrait « à la manière de », mais un portrait fruit d’un long compagnonnage qui témoigne qu’il n’est de littérature que celle qui empoigne la vie, transit nos existences et nous saute à la gorge par le souffle alchimique qu’elle libère. Que certaines œuvres rares luisent comme des feux ardents en prise sur notre présent, qu’elles ouvrent des portes que notre XXIème siècle s’empresse parfois de refermer, Michèle Goslar nous le montre avec brio.

Véronique Bergen