Où l’on capte la poésie par tous nos pores

Un coup de cœur du Carnet

Daniel FANO, Tombeau de l’amateur #1. Assez parlé de moi, La Houle 2017, 21 p., 14 €, ISBN : 978-2-930733-09-8 ;   #2. Suite au prochain numéro, La Houle, 2017, 10 p., 10 €, ISBN : 978-2-930733-13-5 ; #3. Dix petits exercices de disparition, La Houle 2017, 16 p., 10 €, ISBN : 978-2-930733-14-2 ; #4. Au revoir et merci, La Houle, 2017, 12 p., 8 €, ISBN : 978-2-930733-15-9 ; #5 Tombeau de l’amateur, La Houle, 2017, 10 p., 8 €, ISBN : 978-2-930733-16-6

fano tombeau de l amateurQuestion à deux balles : quels sont les points communs entre Assez parlé de moi, Suite au prochain numéro, Dix petits exercices de disparition, Au revoir et merci et Tombeau de l’amateur ?

Fastoche !

Leur auteur d’abord, Daniel Fano, un expert pour ce qui est de booster la langue, de la brancher joyeusement sur du triphasé électrique, de monter nerveusement en neige les phrases en un beau débridé, en un beau glissando, parfaitement maîtrisés :

Le soutien des fesses et le soutien du dos ne sont pas les seuls critères importants :                        encore faut-il réduire les causes de fatigue du corps et de l’esprit.

Les deux mains (ne m’obligez pas à vous en donner la définition intrinsèque) sont                idéalement placées lorsqu’elles peuvent agir instantanément et avec une                                égale efficacité en toutes circonstances.

Mais s’il se met à pleuvoir, pas de panique : il y a toujours un bon vieux                                                bolchevique dans le coin, non ?

Leur éditeur ensuite, La Houle, regroupant sous le titre générique de Tombeau de l’amateur ces cinq cahiers de poésie, ces cinq cahiers d’une dizaine de pages chacun, tout au plus, ces cinq cahiers gravitant autour de l’idée de disparition, des fins tragiques, façon polar, des regrets et des derniers souhaits, des ultimes désirs avant la grande chute, des ultimes manières de se tirer à soi-même le portrait et la langue.

Non que Daniel Fano nous servirait ici cinq fois le même plat : il s’agirait plutôt d’attaquer l’affaire de cinq façons différentes. L’une reprenant, par exemple, les montages au cordeau, les télescopages de réalités hérités des grands poètes beat, Burroughs et Corso en tête. Une autre résumant en quelques lignes des destins façon roman noir. Une autre encore se donnant des allures d’hypothétique journal de voyage, dans une hypothétique Chine, dans une hypothétique époque future. Une autre encore faisant, à sa façon, de lointains clins d’œil aux « testaments » et « congés » moyenâgeux. Etc.

On le voit, on le sent : tout va vite ici, la langue de Fano, switchant d’un fait à l’autre, d’une pensée à l’autre, d’un poème à l’autre ; les images qu’il convoque ou invoque, s’enchaînant sur un rythme endiablé ; les « genres » divers, faisant écho à la mosaïque Fano, à la pensée Fano, à la multiplicité Fano, un poète capable d’inventer des rapports grinçants et parfois hilarants entre des choses, des événements, des mots, apparemment peu faits pour se rencontrer.

Cerise sur le gâteau : ces cahiers sont bilingues. Français. Anglais. Ces cahiers seront peut-être lus par des anglophones. Chance, pour eux, de découvrir ainsi le tourbillon Fano.

L’intérêt de l’affaire ? Se frotter à l’univers de quelqu’un d’entier. De têtu. De quelqu’un qui résiste. Refuse de caresser le lecteur – ou la lectrice – dans le sens du poil. Fano ne cherche pas pour autant à déstabiliser, à mettre mal à l’aise : Fano est un vieux singe. Sait qu’il est aisé de perturber. Les plus mécaniques des « montages » de mots, « montages » de textes, remplissent parfaitement cet office. Pas d’intérêt, peut-être alors, à pousser le bouchon jusque-là. Pas d’intérêt, non plus, d’en rester à ce plan, à ce territoire « simplement » esthétique. Y manquerait l’intérêt humain. La dimension inhérente à toute aventure humaine.

Car Daniel Fano est un aventurier.

Comme nous tous, d’ailleurs.

Lancé, comme nous tous, à cent à l’heure, dans un monde d’aujourd’hui. Dans un monde des villes. Dans un monde qui nous capte ou cherche à le faire. Dans un monde qui n’arrête pas de nous faire des appels de phare. La poésie de Fano n’est pas autre chose qu’une réponse épidermique, intuitive, à tous ces appels du monde. La poésie de Fano ne demande pas autre chose que d’être saisie par tous nos pores.

Vincent Tholomé