Erik SVEN, Mon frère et moi, Murmure des soirs, 2018, 126 p., 18€, ISBN : 978-2-930657-40-0
À L…, village en bordure de forêt, Colline l’aînée narratrice et Aubin le cadet sauvageon qui prend souvent la tangente sont à l’orée de l’adolescence et fusionnels comme des liserons. C’est qu’ils ne peuvent pratiquement compter que l’un sur l’autre : Édouard, leur père, ne vit que pour ses bulldozers. Josyane, leur mère, sombre la plupart du temps dans des migraines qui la rendent aigrie ou apathique.
L’un et l’autre se réfugient tantôt dans la cabane au fond du jardin où leurs peaux enfantines apprennent à dialoguer dans une tendresse qu’ils ne trouvent pas ailleurs, tantôt dans l’aventure sans limite des bois. Se joindra bientôt à leurs vagabondages Béatrice, camarade de classe aussi marginale qu’eux, avec qui Colline prolonge avec candeur mais émoi ses explorations tactiles. Un jour où Miaou, le chat de la famille, disparaît, Aubin tombe par hasard sur la masure reculée où vit Berthe, ancienne habitante revenue de Bruxelles après douze ans d’absence. Entre la sorcière et la fée bleue, nimbée d’un passé énigmatique, cette femme à la chevelure d’argent fascine le frère et la sœur. C’est elle qui les informera que leur père aura bien du mal à construire l’autoroute à travers bois à cause du karst. Intrigué par ce phénomène géologique, Aubin ne mesure pas toute l’étendue du danger et chute dans une doline. À nouveau appelée à la rescousse, Berthe n’aura de cesse de prendre soin des trois compères. Se noue entre le gamin et la recluse une relation qui défie les mises en garde d’Édouard – qui semble bien la connaître – et les moqueries de leurs camarades de classe, jamais en reste pour ostraciser. Mais Berthe est-elle aussi bienveillante qu’elle en a l’air ? Colline pourra-t-elle maintenir cet équilibre précaire tissé entre elle, son frère adoré et sa meilleure amie ?
Entre le récit initiatique aux contours tabous, le conte cruel et la fable écologique, Erik Sven maintient en tension impressionniste constante Mon frère et moi, fait virevolter les mots au bord de l’effondrement ou du frisson et ne cède jamais au mièvre. Rugueux et mal peignés mais amplement en mesure de nous attendrir, Aubin, Colline et Béatrice apprendront combien sortir sans préavis de l’enfance peut s’avérer douloureux, combien l’arithmétique des sentiments s’avère parfois bien plus épineuse qu’on l’imaginait.
Anne-Lise Remacle