Archives par étiquette : fratrie

Préserver l’étincelle de l’espoir jusqu’au bout

Un coup de cœur du Carnet

Katia LANERO ZAMORA, La machine (tome 2), ActuSF, 2023, 384 p., 20,90 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2376865742

lanero zamora la machine tome 2Le tome 2 de La machine de Katia Lanero Zamora nous plonge dans une guerre civile qui fait rage depuis deux ans entre les Machinistes, des anarchistes défendant la jeune république espagnole, et leurs opposants royalistes, les Fléchistes. Dans le premier tome, nous avons pu découvrir la façon dont l’histoire collective s’articulait aux destins individuels des héros Andrès et Vian Cabayol. Dans la suite de cette histoire, c’est dans la vie concrète des deux frères que les effets de la guerre sont dévoilés.

D’un côté, il y a Vian, affecté à la colonne de Feu, la section d’élite des soldats de l’armée de Panîm, dirigée par son beau-père Ovando, un homme dur et cruel. Marqué par l’empreinte de son rôle, Vian est devenu une machine de guerre dont le seul but est de viser, charger, tirer. Sa part d’humanité revient pourtant faire effraction dans certains moments. Continuer la lecture

Quarante-cinq minutes

Stéphanie BLANCHOUD, Le temps qu’il faut à un bébé girafe pour se tenir debout,  Lansman/Rideau, coll. « Théâtre à vif », 2023, 40 p., 10 €, ISBN : 9782807103740

blanchoud le temps qu'il faut a un bebe girafe pour se tenir deboutQuarante-cinq minutes. C’est le temps d’une mi-temps au football ou le temps qu’il faut à un girafon pour se tenir debout, après sa naissance. C’est aussi le temps réglementaire que dure une visite au parloir, en prison. Et le temps que Louise passe sur un banc, chaque mercredi, face au numéro 44 de la rue Berkendael, à Bruxelles, la prison des femmes.

Tout en comptant les trous dans le trottoir, Louise raconte son histoire depuis ce banc. Elle parle de sa mère qui est comme un fantôme à présent. Elle se souvient de sa mère qui visait les pigeons avec son pistolet à billes. Des histoires qu’elle leur racontait. De sa voix réconfortante. Mais aussi de la violence de l’homme qui a partagé sa vie durant dix-huit ans. Quand elle était plus jeune, Louise montait dans sa chambre lors de leurs disputes et ne redescendait que quand elle entendait Vivaldi, signe qu’il était parti et que sa maman ramassait les morceaux brisés. Dix-huit années à voir sa mère s’éteindre à petit feu. Vivaldi était l’échappatoire de celle-ci, sa bouée de sauvetage. Que s’est-il passé le jour du meurtre ? Le jour où sa mère a mis fin à son calvaire en tuant son beau-père ? Louise a plein de questions, mais sa mère ne se souvient de rien. Elle se ferme de plus en plus jusqu’à définitivement refuser de la voir. Continuer la lecture

Sur un fil, avancer toujours

Daniel CHARNEUX, Les oiseaux n’ont pas le vertige, Genèse édition, 2022, 207 p., 21 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-3820101-67

charneux les oiseaux n ont pas le vertigeDe l’enfance à l’âge mûr, les souvenirs de Jean Berthollet sont racontés à la première personne, entrelacs de faits marquants et de cartes postales du quotidien. Les images du petit village ardennais des premières années installent une ambiance bucolique : théâtre de pleine nature, tout en quiétude, qui ne se laisse pas troubler par les drames qui y bouleversent les habitants. Mais l’insouciance de Jean connaît une fin tragique lorsqu’un accident de vélo emporte son jumeau et son enfance.

Il paraît que les cellules de notre intestin se renouvellent en quelques jours, celles de notre cœur en quelques années. Que reste-t-il de l’enfant dans l’adulte ? Rien, sans doute, ou si peu. Aucune molécule du corps, en tout cas. Deux êtres totalement différents, le cerveau mis à part. Car il semble que les cellules de l’encéphale ne se régénèrent pas. Et que toute notre vie, tous nos souvenirs y dorment. À moins qu’ils ne se désagrègent, bus par la boue comme une chaussure perdue.  Continuer la lecture

Dans les bras de morphine

Barbara ABEL, Les fêlures, Plon, 2022, 432 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9782259307628

abel les feluresGarance et Roxane sont inséparables. La première, l’aînée, protège sa sœur depuis toujours, elles partagent les confidences, et, surtout, elles font ensemble front face à Judith, leur mère, que l’alcool rend souvent folle de rage. Depuis quelques temps, leurs liens se distendent : leur mère est décédée, et Roxane s’est éprise de Martin dont elle partage la vie. Pourtant, lorsqu’un appel au secours arrive sur son portable, Garance se précipite et elle trouve sa cadette étendue aux côtés de Martin. Les secours appelés constatent le décès du jeune homme, Roxane est emmenée en ambulance et revient à elle. Saisie de l’affaire, la police conclut à un décès du jeune homme par arrêt cardiaque suite à une injection de morphine et les soupçons se portent sur Roxane, qui est étudiante en médecine. Mais les analyses révéleront que la dose de morphine ne pouvait suffire à provoquer le décès. Le mystère reste donc entier et il va persister jusqu’à la fin de l’intrigue. Continuer la lecture

Déambulations mémorielles

Un coup de cœur du Carnet

Isabelle SPAAK, Des monts et merveilles, Équateurs, 2022, 267 p., 20 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 978-2-38284-062-7

spaak des monts et merveilles« Chasseur de baleines et chimères, éleveur de renards, traducteur de nuages, querelleur polyglotte, clown pour tous les âges, écrivain du dimanche, érudit, poète, Michel est aussi un épistolier infatigable ». Sa disparition, en 2019, plonge sa demi-sœur, Isabelle Spaak, dans un profond chagrin. Très vite, les souvenirs se bousculent, disparates, fragmentaires, soumis parfois aux défaillances de la mémoire. Il y a les vacances d’été sur l’Île de Ré dont les photos en kodachrome prises par la mère reconstituent l’heureux film, les cris et blessures d’enfant que seul Michel semble pouvoir apaiser puis les lettres échangées, innombrables. Continuer la lecture

La composition du silence

Un coup de cœur du Carnet

Veronika MABARDI, Sauvage est celui qui se sauve, Esperluète, 2022, 208 p., 18 €, ISBN : 9782359841497

J’écris : voici mon frère, il n’a fait que passer, mais la phrase ment. Alors je cherche les traces qu’il a laissées dans le regard des autres. Il me relie à eux. Qu’est-ce qui s’est inscrit en eux de son passage ?

Suivre le fil : plonger sous la matière, là où s’emmêlent et se confondent les fibres, rejoindre la surface, reprendre. Les mots de Veronika Mabardi circonscrivent en pointillé les contours de la perte et tracent, d’un même mouvement, l’empreinte d’un corps qui jamais n’a pu se résoudre à respecter les limites. Ce corps est celui de son frère, Shin Do Mabardi, arrivé à l’âge de cinq ans dans cette famille d’intellectuels de gauche, douce et généreuse, depuis la Corée du Sud. En dépit de l’amour qui l’attend de pied ferme et amortit la brutalité du déracinement, l’expérience est avant tout celle d’un arrachement. Dans la terre coréenne, Shin Do laisse des radicelles tranchées vives. Un morceau de son identité se développe sans lui à l’autre bout du monde, plaçant son existence sous le signe de la fragmentation. Continuer la lecture

Dans le silence de la peur

Françoise PIRART, Chicoutimi n’est plus si loin, Sablon, 2021, 244 p., 13 €, ISBN : 9782931112069

pirart chicoutimi n est plus si loinFrançoise Pirart plonge directement son lecteur dans le feu de l’action en situant le début du récit à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem où 2 frères, Érik (15 ans) et Sylvain (12 ans), sont en cavale suite à un drame. De ce drame, nous aurons des détails au compte-goutte et nous serons surtout amenés à lire la relation particulière entre les deux frères. Continuer la lecture

Jolie fratrie d’ours

Marine SCHNEIDER, Petit ours, Tout petit ours, Cambourakis, 2021, 32 p., 12 €, ISBN : 978-2-36624-547-9

schneider petit ours tout petit oursMarine Schneider, qu’on a pu notamment découvrir avec Hiro, hiver et marshmallows en 2018 chez Versant Sud Jeunesse, nous embarque d’album en album dans un univers graphique élaboré, où l’imagination est reine et le fond de l’air chargé de poésie et de merveilleux. Continuer la lecture

« Le témoin déjà en poussière de ma propre poussière… »

José-André LACOUR, Le rire de Caïn, Table ronde, coll. « Petite Vermillon », 620 p., 10,5 €, ISBN : 9791037105387

« Le mot chef-d’œuvre est galvaudé. » C’est sur ce constat sans appel que s’ouvre la préface signée par Jacques De Decker à propos d’un des plus grands livres oubliés des lettres francophones de Belgique. Le rire de Caïn de José-André Lacour (1919-2005) constitue en effet un sommet de la veine autobiographique romancée. Publié à l’enseigne de La table ronde en 1980 – soit à l’époque où le questionnement identitaire se disait encore « Belgitude » à Paris –, ce fort volume se verra couronné par le Grand Prix des Lectrices du magazine Elle. Rien d’étonnant à cette reconnaissance si l’on considère la maestria de Lacour à camper les portraits des femmes qui peuplent son récit, à les mettre en scène dans le spectre le plus étendu de leurs attitudes, à faire ressentir leurs douleurs secrètes, leurs doutes, leur force, leur sensibilité, leur violence, bref leur être tout entier. Continuer la lecture

Parole d’argent, silence d’or

Dorothée CAILLE, Alors j’écris, Les mots qui trottent, 2018, 329 p., 9€, ISBN : 979-10-97325-22-0 

Meredith se réveille dans une chambre d’hôpital à Londres. Une douleur aigüe martèle sa gorge. « Apparemment, tu ne pourras plus parler », lui annonce son frère. La nouvelle lui fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Elle soulève quelques souvenirs amers issus d’une enfance chaotique. Tout comme sa mère lorsque Meredith était enfant, sa voix l’a donc abandonnée. Avec elle, Meredith perd son emploi d’interprète, sa passion pour le chant et… son petit copain du moment. Continuer la lecture

Le pays qu’on ne retrouve jamais

Joseph NDWANIYE, La promesse faite à ma sœur, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2019, 240 p., 8.5 € / ePub : 6.99 €, ISBN : 978-2-87568-412-7
Un carnet pédagogique téléchargeable gratuitement accompagne le livre

Voici que la collection Espace Nord réédite le roman de Joseph Ndwaniye, La promesse faite à ma sœur, qui était paru en 2007. L’auteur né au Rwanda et vivant en Belgique depuis plus de 30 ans y aborde de façon intimiste le génocide qui a touché le pays en 1994. Fondé tout à la fois sur des souvenirs personnels (ceux du village quitté en 1986) et sur une fiction (le retour au pays de Jean, lui aussi établi en Belgique), le récit débute par celui d’une enfance dans une famille unie, profondément ancrée dans les traditions paysannes. Écrit à la première personne, et sans doute très proche de ce qu’a vécu l’auteur lui-même, il est centré sur la vie familiale et villageoise dont les liens bienveillants sécurisent la vie des enfants. Ici, le temps s’écoule avec douceur dans une vie simple qui a le goût du bonheur. Dans le Rwanda des années 1960, l’accès à la scolarité permet aux enfants de grandir en paix et aux plus chanceux d’entre eux d’espérer faire des études supérieures, pourquoi pas à l’étranger, comme ce sera le cas de Jean qui étudiera en Belgique et s’y installera.

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Les trois sœurs de l’Eldorado

Virginie THIRION,Un pied dans le paradis, Lansman, 2018, 46 p., 10€, ISBN : 978-2-8071-0214-9

Madeleine et Jeanne, deux sœurs sans le sou, vivent dans l’ancien cinéma familial qui n’est plus qu’une ruine. La belle époque de l’Eldorado est bien lointaine. L’avenir n’offre plus que des plafonds croulants, des bouillons et du pain rassis. Alors parfois une main innocente traine dans le rayon traiteur du supermarché le plus proche et emporte avec elle lotte à l’armoricaine ou lapin aux pruneaux. Les deux sœurs, qui sont comme un vieux couple, aiment jouir de petits plaisirs. Un soir, Louise, leur sœur cadette, refait surface après dix ans d’absence. Elle n’a plus un rond et veut réintégrer le domicile familial. Madeleine et Jeanne acceptent. Les voilà prêtes à se serrer la ceinture à trois. La vie est moins sombre quand on est plusieurs. Elles désirent toutefois manger à leur faim et se mettent à voler de plus en plus. Des petits plats cuisinés dans le hyper, on passe aux vêtements et aux vases dans les cimetières. Tout est bon pour se faire un peu de blé. Surtout qu’un expert leur somme de quitter leur domicile devenu insalubre. L’expropriation n’est plus très loin, mais les trois sœurs n’ont pas dit leur dernier mot. Telles des Robins des bois, elles extorquent les riches. Tout est permis pour survivre. Louise rencontre d’ailleurs un veuf riche au cimetière. La voilà leur solution. À moins qu’elles ne soient tombées sur plus rusé qu’elles encore… Continuer la lecture

Mal de mère

Valérie NIMAL, Nous ne sommes pas de mauvaises filles, Anne Carrière, 2019, 17 €, 172 p., ISBN : 978-2-8433-7932-1

Au chevet de sa mère, hospitalisée pour avoir une fois encore joué avec les limites mortelles, la narratrice n’en mène pas large. Il faudrait que la température du corps de l’alitée, à deux doigts de jouer sa dernière grande scène, redevienne acceptable. C’est que la génitrice de Maud et de sa sœur cadette, Marie, n’est pas de celles qui s’effaceraient sans bruit. À peine sortie des limbes, la voici d’ailleurs qui réclame son fer à friser, un Paris Match et surtout, de l’attention. Qui tempête sur le personnel soignant, congédie son psychiatre, et admoneste son aînée pour avoir écrit « suicide » dans le dossier médical.   Continuer la lecture

La preuve vivante

Adeline DIEUDONNÉ, La vraie vie, L’Iconoclaste, 2018, 270 p., 17 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-37880-023-9

« À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres. »
Papa tire du gros gibier, dès qu’il peut. Ici et jusqu’en Himalaya. Cette « chambre des cadavres« , c’est celle où il dispose ses trophées. Il y a des têtes de sanglier, d’antilopes, de zèbres, même un lion entier. Et une hyène dans un coin. Prédateur, papa l’est aussi envers maman, bien sûr, et maman esquive la violence conjugale en se faisant la plus transparente, la plus molle possible, encaissant juste les coups. La narratrice et son petit frère Gilles vivent une relation fusionnelle. À l’aube de la puberté, ils dorment encore ensemble, se partagent tous leurs secrets et réenchantent leur quotidien en jouant dans une casse de voitures. De retour de l’école, lorsque c’est la saison, ils achètent quotidiennement une glace au marchand ambulant – avec supplément chantilly pour elle. On ne peut pas dire que ce soit une vie rêvée, mais au moins rien ne viendra s’interposer entre Gilles et elle. Rien, jusqu’à l’accident. Continuer la lecture

Un tas de pierres comme un défi à la vie

Aurélie William LEVAUX et Christophe LEVAUX, Le tas de pierres, Cambourakis, Coll. « Littérature », 2018, 128 p., 15 €, ISBN : 978-2-36624-332-1

Levaux_Le tas de pierresLui, Christophe, a publié, il y a un an seulement, La disparition de la chasse, aux éditions Quidam, une comédie sociale satirique et acide dans le monde entrepreneurial.  Elle, Aurélie William,  multiplie les activités artistiques autour notamment du dessin sur tissu, de la broderie et de l’écriture. Elle a sorti une quinzaine d’ouvrages chez différents éditeurs comme Prédictions, Sisyphe, les joies du couple ou encore Le verre à moitié vide, chez Atrabile où paraît prochainement La vie intelligente. Citons également Le festin des morts, au Tétras Lyre, avec Caroline Lamarche [1]. Continuer la lecture

Durs comme frères

Yves WELLENS, Cette vieille histoire, Ker, 2018, 152 p., 18 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87586-227-3

wellens cette vieille histoireLes fratries sont bien souvent animées de sentiments contradictoires. Rivalités, jalousies et ressentiments le disputent à la solidarité et à la connivence selon une mécanique aux ressorts complexes. Les trois frères Wellens – ce nom nous dit quelque chose – vivent dans des univers distincts. L’un d’eux, le plus célèbre, est un magnat bruxellois de l’immobilier et des affaires, il est entouré d’une cour d’experts divers. Son aura est incontestée, son emploi du temps est minuté, ses apparitions organisées, sa sécurité garantie. Un autre frère, qui a pris soin de se faire appeler de son nom d’auteur, Varens, est un écrivain en vue et il mène une vie plus calme, entre écriture et flânerie, soucieux de ne pas se confondre avec les valeurs du premier qu’il ne rencontre que sporadiquement pour des repas brefs et silencieux. Quant au troisième, Gilles, il a un passé de contestataire, mais semble s’être assagi, même s’il garde lui aussi ses distances. Continuer la lecture