Alain BERENBOOM, Expo 58, l’espion perd la boule, Genèse, 2018, 272 p., 22,50 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 979-1-0946891-34
Dix ans après la parution de Périls en ce Royaume (qui se déroule en 1947), le détective privé Michel Van Loo continue à être confronté, bon gré mal gré, aux événements majeurs que vit la Belgique. L’exposition internationale de 1958 était une étape obligée.
Un homme est découvert assassiné sur le chantier de l’exposition. Van Loo est sollicité par un mystérieux commanditaire qui se révèle être un fonctionnaire du ministère de l’intérieur ; le détective est chargé de surveiller les travaux ainsi que les membres d’une étrange commission chargée de vérifier la bonne exécution des travaux hydrauliques. Rebondissements nombreux et force gueuzes grenadine vont l’amener à lever partiellement le voile sur ces mystères accumulés.
De récit en récit, Alain Berenboom étoffe sa galerie de personnages qui constituent désormais une véritable « famille » ; les adversaires reviennent également, comme le commissaire Stengel, toujours prompt à suspecter Van Loo, qui a, il est vrai, l’art de toujours se trouver là où il ne fallait pas. Les personnages vieillissent à mesure ; c’est ainsi que le petit Alain, le fils du pharmacien, a bien grandi et se permet de formuler certaines demandes qui sauveront Van Loo.
Le personnage du détective reste semblable à ce qui a fait sa personnalité particulière. Il est recruté parce qu’il est incompétent et qu’il ne risque donc pas de démasquer qui il ne faut pas. Alain Berenboom va loin dans l’élaboration de cette figure du naïf qui ne devient compétent que par son obstination à suivre des mauvaises pistes. N’a-t-il pas été poussé, comme il le dit lui-même, à mener une « enquête qui dépassait mes compétences et dont on me cachait l’essentiel » ? Évidemment la « famille » l’aide. Cette fois, ce sont les frères Motta qui apportent une aide précieuse. Mais l’étincelle de compréhension vient à nouveau de sa petite amie Anne, qui n’est plus coiffeuse, mais maquilleuse au cinéma.
Alain Berenboom crée de nombreuses situations paradoxales, comme le fait que Van Loo est recruté par trois commanditaires différents aux intérêts évidemment opposés, certains voulant surtout dissimuler la vérité, certains la connaissant déjà mais devant paraître l’ignorer. Et les paradoxes s’accumulent.
Les enjeux de la situation politique, tant belge qu’internationale, sont mis en perspective dans le cadre de l’Expo 58. Cette exposition imaginée en pleine guerre froide résultait de la volonté d’offrir un lieu de dialogue entre sphères politiques rivales. Si les tenants et aboutissants des conflits internationaux ne sont pas décrits, le climat et l’atmosphère particuliers de ces années, entre autres les relations Est-Ouest, sont bien rendus. Bien sûr, la vérité historique ne permet pas une trop grande liberté dans l’attribution à un clan précis des évènements qui se déroulent sur le plateau du Heysel. Mais l’auteur a plus d’un tour de passe-passe dans son sac.
Il intègre également l’actualité contemporaine dans son récit, puisqu’il raconte de façon fort précise les origines lointaines de la guerre civile qui ravage aujourd’hui la Syrie.
L’ancrage bruxellois n’est pas qu’un souci de réalisme ; il représente un paramètre important de l’enquête. Mais n’est pas vraiment Bruxellois qui semble pourtant en être un pur produit.
Comme tout auteur de série, Alain Berenboom se doit d’imaginer de quoi la renouveler pour éviter la répétition. Il semble jouer beaucoup plus qu’avant sur l’art des fausses pistes. Pour certains détails, il suggère habilement qu’ils ne sont peut-être pas si anodins que cela… tout en les laissant finalement inexpliqués. Cela participe de l’ambiance de complot dans laquelle il fait baigner l’intrigue. Mais cela témoigne aussi de l’évolution de la philosophie de Van Loo : « À l’époque, j’étais persuadé (…) qu’à la fin, tout s’éclairait. Aujourd’hui, j’en doutais de plus en plus. Je devinais que la plupart des mystères demeureraient des mystères. Et vous savez quoi ? Ça me soulageait. »
C’est au moment de fêter ses quarante ans que Van Loo se demande s’il ne faudrait pas changer de vie. Cela suggère-t-il un abandon de la série ? Alors que tant d’événements majeurs de l’histoire de Belgique attendent le détective : l’indépendance du Congo, les grèves de 1960, peut-être même l’épopée d’Eddy Merckx…
Joseph Duhamel