Douze petites zones troubles

Françoise HOUDARTDieu le potier et quelques autres, Luce Wilquin, 2018, 176 p., 17€, ISBN : 978-2-88253-544-3

houdart dieu le potier et quelques autres.jpgAu commencement du monde était la glaise, et celle dont Françoise Houdart façonne ce recueil est ample, souple et constellée de grains incongrus, d’éclats qui grattent l’œil et la paume. Dans La lune dans le cagibi, une blanchisseuse depuis des lustres en concubinage avec un accidenté laisse enfin entrer la télévision dans sa demeure modeste  et c’est une véritable révolution: « Insensiblement,  l’axe de rotation de la planète Zénaïde s’était incliné vers l’astre en bakélite et les conséquences  climatiques internes n’avaient pas tardé à se manifester. » Au premier matin de sa nouvelle vie, une toute jeune épousée découvre une bouteille de lait sur le seuil, sans savoir quelles conséquences suries ruisselleront de ce simple objet apparu sans que personne ne semble l’avoir déposé. La Vieille qui fut jadis Mouya et somnole désormais dans son veuvage transforme les « Bonjour ! » que le voisinage lui délivre du bout des lèvres en un monde mouvant, où il lui est encore permis de rêver à son joueur de crosse, désormais figé sous la vitre du temps. À la tombée de l’âge, Rémi choisit de s’immerger au tréfonds dans cet étang qu’il a tant contemplé en quête d’apparitions et de réponses.

Avec Dieu le potier et quelques autres, l’auteure hennuyère nous rend particulièrement gourmands de ces foulées de côté avec le réel, de ces fugues buissonnières de la conscience, de ces tressautements subtils dans les ondes d’âmes qu’on jugerait trop vite quiètes ou quasiment éteintes. Restez d’ailleurs sur vos gardes : il arrive que le merveilleux qui s’insinue sans crier gare dans votre vie tienne juste à un énigmatique chapeau de paille qui dérive sur le fleuve Ljubljanica ou aux mouches qu’un aïeul manquerait de gober durant sa sieste digestive…Regarderez-vous désormais ces dames blanchies un peu perdues, ces hommes « en [leur] logorrhée de silence », ces esseulés qui semblent peu en phase avec notre époque avec commisération, bienveillance ou inquiétude? Qui sait quelles créatures, quelles épiphanies douloureuses, quels souvenirs bouleversants de romance résident vraiment dans leurs têtes ? Rien ne peut vous garantir qu’à votre tour, vous ne basculerez pas un jour de l’autre côté du miroir…

Anne-Lise Remacle