Où l’on lit un recueil de poèmes qui barattent à tout va la langue

Jean-Louis SBILLE, komsakonkoze (komildiz), Traverse, 2018, 74 p., 12 €, ISBN : 978-2-93078-325-3

sbille komsakonkoze.jpgLire, comme parler, écrire, écouter, ça se passe d’abord dans un corps. Pas dans de la pensée. Pas dans des mots. La langue, c’est d’abord une affaire physique. Corporelle. Impossible de ne pas y penser en lisant, à haute voix, komsakonkoze (komildiz), de Jean-Louis Sbille, recueil d’une vingtaine de textes, ultra courts, où Sbille laisse parler la viande rauque, zigzague d’un registre de voix à un autre à chaque vers, quasi, à chaque strophe, quasi. Cite Baudelaire et Lamartine tout en larguant ses bombes, ses façons d’écrire cherchant à rendre la langue « komonlaparl », comme on la vit. Comme on la danse, vous et moi, au quotidien. N’hésitant pas, jamais, à mêler tout cela bordéliquement et joyeusement dans un même poème. Passant allègrement de la ritournelle enfantine un peu neuneu à la « belle image » poétique.

On l’aura compris : Sbille nous livre ici un condensé de chaos divers, un bric-à-bric sonore parce que, comme il le dit, Ça c’est d’la poésie. De la langue qui parle au corps. De la langue fabriquée par un corps et pour un corps. Daniel Simon, son éditeur, ne s’y trompe pas : on trouvera, sur son soundcloud, neuf poèmes de komsakonkoze (komildiz) lus par l’auteur. On y appréciera l’extrême souplesse, l’extrême plasticité de la voix de Jean-Louis Sbille, acteur hors pair, capable de switcher, sur un claquement de doigt, d’une flexion à une autre.

ARTICULE J’ENTENDS RIEN

Pipi d’église je suis pas sourd te répète-je

Mais je te le le le dis quand même

« Belle grosse Serotonine dure je te hurle
BOKER TOV rien que pour toi »
Vlà c’est tout C’est pas bien ça

CALMOS
Ce matin donc je te demande
et je t’articule
C’EST QUOI KE T’ÉCOUTES

Ça swingue, donc. Ça jazze pas mal, d’accord. C’est truffé de jeux de mots à deux ou trois balles et de références, ok. C’est drôle aussi, parfois. Puis émouvant. Mais, cette musique-là, cette façon-là de musiquer la langue, ça raconte quoi, dans le fond ?

Des trucs de corps, pardi – si je devine bien. Des accidents qui lui arrivent. Des courts séjours à l’hôpital. Des flux de désir qui le traversent. Des trucs machins qui l’apostrophent. Des autres corps parfois trop gras qui l’entourent. Des courbatures du vieillissement aussi. Comme si, de façon très discrète, l’air de ne pas y toucher, avec pudeur, grincements de dents et ironie, Jean-Louis Sbille, dans ces petits jeux sonores et dansants, écoutait mine de rien le temps qui passe. Comment il marque les corps. Comment il change les corps. Sbille passant, d’une ligne à l’autre, de la confession à la trivialité. Sbille pirouettant devant nous comme un clown au nez rouge. Comme si, d’abord, primait le fait qu’il ne fallait pas s’attarder. Qu’il fallait enchaîner. Ne pas rompre le rythme. Glisser vollegaz du rire aux larmes. Ne rien mettre en avant pour que tout, plus ou moins, ait voix au chapitre.

Bien sûr, on peut toujours préférer à cette langue poétique-là une autre. Celle du genre qui parle d’abord au cœur plutôt qu’au corps. Bien sûr, il y en a toujours qui penseront aussi que ce genre de poésie-là, c’est vieux, daté, dépassé. Que ça ne se fait plus de baratter comme ça la langue. N’empêche. Sbille a une oreille. Il faut le reconnaître. Sbille sait écouter les souffles courts. Les petites monnaies d’oiseau. Les parts d’ombres qui sont en nous. Toutes ces choses qui font que rien ne va droit. Sbille, à sa manière bolide lancé à mille à l’heure, sait rendre l’allure chaotique ou absurde que prennent parfois, souvent, toujours, les choses autour de nous.

De simples gens zig-zaguent de BIG MAC en BIC MACde douleur ils labourent les sauvages fabriques

Leurs enfants de compagnie béats rebondis
de promos & de bons d’achats
n’osent s’éloigner
Ils ont trop peur des illisibles solitudes
Papa Maman Cucu Cancan
canari de certitude bichonnent
la voiture la clôture la véranda

(…)

(S’ils étaient de sucre jamais
je ne les tremperais dans mon café)

(S’ils étaient de sel jamais
je n’en couvrirais mon sachet de frite)

Vincent Tholomé