La poésie commence là où finit le monde

Quentin VOLVERT, Ghettos, Frontispice d’Yves Namur, Taillis Pré, 2018, 88 p., 10 €, ISBN : 978-2-87450-131-9

volvert ghettosIl est certains artistes pour qui la poésie commence là où finit le monde, là où le réel se cabre. Le très jeune poète Quentin Volvert (né en 1997) appartient à cette confrérie. Dans une langue nerveuse privilégiant le grand écart entre les réalités, entre les sensations, il pose dans Ghettos un anti-ghetto textuel, une écriture qui flue comme une électricité des lointains. Par l’exploration des terres de l’enfance, de ce qui en réchappe, il traque les possibilités d’être au monde. La poésie tourne autour des vertiges (vertiges métaphysiques liés aux vertiges existentiels), autour de ce qui fait naufrage ; elle interroge le monde en ses charniers, une planète défigurée par le fracas des guerres. Aucun dolorisme ni carcan asphyxiant du politiquement correct dans ces cartographies de la vie individuelle et collective. Les mots cherchent l’issue que la réalité barre. Que faire ici-bas ? Comment et pourquoi se prêter au voyage alors que l’oscillation entre rester et partir rythme, pulse le texte intérieur ? Au hasard des rues de Bruxelles, aux abords de la Bourse, des cafés de la gare du Nord, des dieux surgissent, appelant à mettre le feu aux poudres, à soulever une autre nuit, une autre aurore dans le tissu des jours.

Si le recueil est traversé par un exil intérieur, s’il consigne dans le désordre des affects à vif les plaies, les naufrages, les rites urbains, les attractions entre corps, si, sous les pavés, il y a la plage mais aussi les barbelés (« le torrent des barbelés / dans l’iris du monde »), c’est sans résignation ni élégie. Quentin Volvert étire les mots jusqu’à leur bouche d’ombre. Il ne croit plus aux sortilèges du poète-mage. Il porte son ghetto de poèmes sur le dos. Loin des épiphanies proustiennes, de l’expérience magique qu’elles délivrent (à savoir, le temps à l’état pur, le temps retrouvé par la coïncidence d’une perception présente et d’un souvenir réactualisé par la mémoire involontaire), les réminiscences sont ici épineuses, sauvages, chaotiques, sans rédemption à la clé.

Anniversaire / Dix-neuf années /  Mon père ma mère / Ma mère mon père / Les battements de la nuit / Sont trop violents

 

Anniversaire / Chambre de passe / les minutes achetées / Pour mourir un temps / Pour fêler nos gorges / Le temps qu’une autre / Nous arrange pour vivre / Enfin

Le recueil offre la forme d’un balancement autour d’un trou noir, autour d’un vide central, d’une absence : retrouvé dans une cave, le corps du pendu balance son mystère, sa radioactivité. Dialogue avec les disparus, avec ceux qui sont en partance vers l’outre-monde, Ghettos gravite tout entier autour de la mort, autour de ce point de bascule hamlétien entre être et non-être. Que le trépassé emporte celui qui reste, que le pendu aspire dans sa disparition celui qui demeure, Quentin Volvert le crie en mots écorchés.

et ton corps pendu qui fait comme un pendule / comme pour me rappeler que moi aussi / ma vie mes bagages et mon outrage / oscillent dans les étoiles pour se perdre / instinctivement et naturellement / dans le silence de toutes les nuits / où la fraternité est morte sur terre

 

Je suis mort / avec toi / ce 12 mars 2012 / à 11 h 00 du matin selon le légiste 

La poésie s’élève au rang de pratique d’exorcisme, s’avance comme un pari en vue d’un dialogue renoué entre les vivants et les morts, entre le jadis englouti et la crête du maintenant.

Véronique Bergen