Christine Aventin, Portrait nu, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2018, 169 p. 14 €, ISBN : 978-2-87489-471-8
C’est une belle image de femme à découvert que nous propose Christine Aventin dans son roman Portrait nu. Non que l’intime soit vraiment dévoilé, il n’apparaît clair que dans ces textes en italiques et sous un régime narratif différent qui jalonnent le récit. C’est la contradiction fondamentale qui sous-tend l’ensemble : en dire beaucoup et se réserver.
Pornographique, le texte ne l’est pas, bien qu’on puisse se croire invité à une espèce de transe lubrique à la lecture du premier chapitre qui se veut exhibitionniste et insiste sur le voyeurisme, avec déjà le risque du doute. Ce ne sera en effet pas le cas car, à partir de cette mise en scène initiale, c’est un récit autonome qui se met en place, une vraie histoire. Qu’on pourrait qualifier d’amour, même si tant d’autres motifs la traversent. L’amour, on y touche à peine dans les mots, comme pour le tenir à distance, mais il est là sous diverses formes : curiosité, attrait, jouissance, ivresse, assimilation, soustraction, confusion, répétition… Difficile d’échapper au réductionnisme psychanalytique. Pourtant l’auteur s’en défend, presque constamment, dans ses phases de retrait notamment. Le sentiment est mis à l’écart, mais ses valeurs, comme l’échange, l’esprit de famille affleurent et s’imposent. Il y a ce piège ancestral d’être une femme. Alors que devenir mère est le seul moyen de cesser d’être une fille.
L’écriture elle-même reflète une dualité, peut-être une duplicité. Le texte coule tranquille puis il est manipulé, sa syntaxe modifiée, sa ponctuation inattendue. Les exemples sont fréquents :
Évidemment tout se rétracte, au moment même — J’ai souhaité, demandé, par un brusque sursaut, l’ouverture — de la portière qui se referme, sur moi, j’ai exigé de descendre et tout s’est rétracté , du ventre, jusqu’aux yeux.
Ou encore :
Je me souviens d’avoir, à regarder les gens qui marchent, si peu souples, leurs gestes, maladroits, pensé — Comme c’est fragile une chanson, qui surgit de l’enfance avec ses casseroles de souvenirs, attachées derrière — que je reviens de loin.
Maniérisme, souci d’élégance, ou l’indice de ces brisures qui transmettent la pensée brute, dans son désordre et sa constance. Le fil ne se rompt pas, au lecteur de ne pas le perdre, sans pour autant s’attacher à une cohérence primaire.
En quatrième de couverture, on lit que Portrait nu est « un roman qui impose autant qu’il réfute la possibilité de faire un récit à partir d’une expérience pornographique au féminin ». On peut admettre cette manière de définition puisqu’elle est double voire paradoxale. Que le récit ne soit pas pornographique, on y consent volontiers. Malgré les situations évoquées, il est peu ostentatoire et même demeure pudique. Qu’il soit érotique et du genre féminin, on ne peut le nier, du fait que la narratrice déclarée, sinon de l’écriture en soi. Certains marqueurs cependant suffisent à genrer un discours. La personne grammaticale, les perceptions et déclarations, la précision du vocabulaire, entre autres, sont un indice suffisant et révélateur. Les scènes de sexe, si on peut les appeler ainsi, sont presque éludées, c’est leur interprétation tout intérieure qui impressionne et leur rapport au vécu général évoqué par la narratrice. Ce sont « passages dans la vie de… » comme un écho dans la trajectoire du personnage. Laquelle demeure en définitive mystérieuse.
Ce n’est pas la nouvelle rééditée avec bonheur dans le même volume, La mort quand elle veut, qui en donnera la clé bien qu’elle indique une continuité et se constitue comme le pré-texte du roman.
Jeannine Paque