Fuck it all!

Patrick DECLERCK, New York Vertigo, Phébus, 2018, 128 p., 13 € / ePub : 8.99 €, ISBN : 978-2-7529-1144-5

Pour ceux qui ignorent qui est Patrick Declerck (enfin, quel écrivain il est : on ne s’aventurera pas ici – ni ailleurs en fait –  sur de plus audacieuses suppositions à propos de sa personne, déjà psychanalyste de surcroît et accoutumée, notamment dans ses livres, à en faire un tantinet état), on pose ici que l’individu a remporté le prix Rossel en 2012 pour Démons me turlupinant, publié chez Gallimard. Et comme on ne sait jamais, on mentionne aussi qu’il est également l’auteur de romans et d’essais aussi remarqués que remarquables, parmi lesquels Les naufragés, paru chez Plon en 2001, qui relate son expérience de travail (il a ouvert des consultations d’écoute) avec les clochards de Paris ou encore de Crâne (Gallimard, 2016), roman autobiographique sur l’opération qu’il a subie d’une tumeur au cerveau.

Alors donc, sait-on ou ignore-t-on que Patrick Declerck est aussi nihiliste qu’athéiste, et féroce autant que drôle? Maintenant, en tout cas, l’affaire est entendue. On en aura par exemple un solide aperçu à la lecture de son dernier opus – qu’on qualifiera ici de pamphlet, à cause de la rage – une violence qui se scarifie à l’humour, à cause de la révolte et du désespoir mais aussi: de la haine. Une haine que Patrick Declerck revendique et convoque, dans New York vertigo, dès les premières pages :

C’est incroyable, mais il semblerait que haïr ne se fasse plus. Que c’est déplacé. Passé de mode. Tout à fait vulgaire.

Patrick Declerck fait partie de ceux que l’intelligence rend acerbes – ce qui est une forme de politesse rendue à la mélancolie. Ni le ridicule ni l’ennui des gesticulations humaines ne lui échappent. Il a l’œil sniper.


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C’est pourquoi, dans New York Vertigo, on rit beaucoup et en même temps on ne se départit pas d’un certain malaise – ne serait-ce pas nous aussi, qu’on voit passer sur le grill des mots furieux de Declerck? Hum. (Poser la question, c’est déjà blablabla).

Mais donc, dans ce pamphlet à l’acide, Patrick Declerck raconte son retour à New York en 2012. Retour puisqu’il y a vécu en 1967 avec ses parents une enfance et une scolarité plutôt intéressantes (c’est-à-dire qu’elles ont en tout cas le talent de teinter d’une certaine nostalgie ces années-là, quand Declerck de 2017 regarde derrière l’épaule). Ce qui le pousse et qu’il décortique attentivement, compulsivement, allergiquement ?! à prendre l’avion (expérience qu’il abhorre), c’est l’attentat du World Trade Center. 9/11, la force qui condense l’absolu horrifique de la tragédie, impulse ce voyage dont la finalité lui échappe mais qu’il entreprend, irrépressiblement. Rien de ce qui compose le périple n’esquive le crible de ses observations.

Car s’il est, comme on ne le sait que trop, radicalement impossible de sauver l’humanité délirante, on peut tout au moins profiter du spectacle qu’elle donne et s’en gaver de comique.

Ainsi, les nonnes et autres religieux.ses croisés à l’aéroport ou les juifs ultra dans l’habitacle de l’oiseau de fer lui inspirent une marée de mots bombes. Bon, la cible est connue, tentante ! Patrick Declerck ne se prive pas de la bazooker. S’appuyant sur la dénonciation des prisons mentales que sont les religions, Declerck n’a pas assez de mots – ou plutôt : si si, il en a plein ! – pour dire que l’humain est taré, complètement jeté et infiniment stupide et ses insultes, ses vociférations couvrent les pages à un rythme galopant, faisant penser qu’en réalité, il a dû déjà expurger pas mal de lignes pour ne garder que la substantifique moelle de ses indignations.
Et ainsi les fous, au fond, se valent, et, une fois passé l’excitation des premières explorations, se révèlent profondément ennuyeux. Déjà vu! Déjà vu! Comme celle-ci… Cette aliénée de Jahvé est la doublure, presque à l’identique, de la christophile érotomane de tout à l’heure. Quel éventée pitrerie! Quel ennui!

On le lit aussi pour ça. Pour l’étrange sentiment de consolation qu’on éprouve en se prenant ses uppercuts rageurs. Ou pour se défouler jusqu’à ce qu’on soit à son tour écorché. Qu’importe. Ridicules, nous sommes, infiniment. Et Declerck lui-même ne tire pas son épingle hors du jeu. Se qualifiant de minus ou cloporte, il morfle pareil, sous le joug tyrannique de l’implacable constat : « Il est, tu es, nous sommes, je suis un singe monstrueux et taré ».

La vérité est que la honte d’appartenir à cette imbécile et folle espèce humaine m’étouffe. La marée de tout ce non-sens me déborde et m’envahit. De plus en plus fréquemment, je ne me sens plus qu’un regard distant et glacé. Je ne sais même plus pour quoi, pour qui, j’écris. Je consigne la trace. Cela ne sert à rien.

Pas sûr, bien sûr. Mais si donc, sur les trajets qui le ramènent à New York, où il erre sur les lieux de la catastrophe (impensable comme toutes les catastrophes), profitant du séjour pour faire un tourisme declerckien, retraçant aussi les panoramas de son enfance comme l’histoire coloniale de cette terre promise, on savoure sa mise en pièces de Trump, on prend pitié à la fin de nous-mêmes, si on arrive dépasser la détestation de sa propre tronche ou celle des autres, qu’ils soient gros gras ou squelettiques, femmes ou hommes, religieux ou pas, on replonge avec lui dans les illusions d’un temps disparu, un temps dur et crade, fait de putes de vieux cinémas de sperme moisi et d’ivrognes, un temps où il y a une place pour un état de vivant qui ne cache pas sa vérité : brutale, difforme et sale.

à travers tout, je me sentirai toujours plus proche de ces pitoyables déchets-là, que de l’informatiquoïde expert-comptable du coin. Et, à tout prendre, s’il me fallait absolument fréquenter mes semblables, je les préfèrerais toujours quelque peu regrettables autant que légèrement répugnants.

Patrick Decelerck, il faut le lire pour lire ça : Fuck it all !